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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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soir, la main sur le cœur, en confidence, un départ le lendemain à l’aube et il discuteles détails en heure et place d’un rendez-vous qu’il sait parfaitement sans objet. La caravane est prête à partir te crie-t-il, et il faut te préparer dans l’instant. Et quand tu te présentes avec tes bagages, l’aube révèle seulement quelques ballots de laine et de suint de mouton, et leurs gardiens assoupis, la tête sous leur capuchon.

    La terre des Maures qu’il évoquait était tellement lointaine, que la suggestion d’aller assiéger Ceuta avait jadis abasourdi le roi du Portugal lui-même. Néanmoins, Guillaume et François étaient intellectuellement familiers de la Barbarie. Depuis déjà trois siècles, les maîtres cartographes en recopiaient inlassablement les côtes, les fleuves, les villes et les montagnes.
    — Si j’en crois les cartes que je dessine et en qui j’ai donc une certaine confiance, d’autres ports sont plus proches de Marrakech. Pourquoi diable t’es-tu engagé dans une si longue méharée ?
    — Tu sembles étonnamment connaître le Maroc comme si tu l’avais visité, maître Guillaume. Les Portugais ont occupé et fortifié les ports marocains de la côte atlantique. Ils tiennent Safim, Azamor, Essaouira et El Jadida où ils ont érigé les citadelles de Mogador et de Mazagão.
    — Les Maures n’ont plus d’autre accès à la mer que Salé ?
    — Pratiquement pas. Mais à l’embouchure du Bou Regreg, c’est un port florissant qui commerce avec Gênes, Venise, les Flandres et l’Angleterre. Derrière une façade paisible, les remparts de mer et de terre d’une citadelle protègent Arssina al Kobra, l’arsenal. Ce repaire abrite des chebecs, des navires diaboliquement véloces montés par des marins intrépides. Les caraques portugaises font un large détour pour éviter de passer à leur portée.
    — Les fameux corsaires de Salé. On les dit cruels.
    — Quand ils abordent un malheureux navire, leur coutume est de traîner le premier captif monté à leur bord à l’extrême avant du chebec. Là, ils l’égorgent, pour arroser l’étrave de son sang.
    — Quelle horreur !
    Ils avaient jeté ensemble le même cri. Derrière eux, Yvon, les yeux exorbités, s’était plaqué la main sur la bouche. La barbarie venait de faire irruption sur la grève du carénage, où le sang humain n’avait plus coulé de mémoire d’homme depuis les invasions des Normani.
    — Une offrande propitiatoire aux mauvais génies de la mer. Une coutume antique ordinaire, pas seulement chez les pirates. Mon guide m’a déclaré les yeux au ciel, que ces pillards sanguinaires sont des combattants au nom du jihad. La guerre sainte a bon dos.
    — Et tu t’es hasardé sans crainte dans le repaire de ces bandits ?
    François lança la question évidente, que Guillaume accompagna d’un geste approbateur des deux mains. L’étranger en faisait un peu trop.
    — Jihad et commerce font bon ménage à Salé et les Français y sont bien vus. J’ai finalement été délivré de mon purgatoire par un Hollandais arrivant de Smyrne, venu débarquer un marchand de Fez opulent, ses quatre concubines aussi grosses que lui et une vingtaine d’esclaves mauritaniens étiques, mâles et femelles. Il m’a conduit au Havre.
    — Tu as choisi une mauvaise saison pour traverser la mer de Gascogne. Le temps d’ouest est bien établi.
    — J’étais trop pressé de partir. C’est vrai que j’ai été tellement secoué que je cherche encore mon équilibre depuis mon débarquement.

    Ils cessèrent de l’interpeller. Guillaume et Jean négocièrent la commande en dimension, en charges, en coût et en délais, et le contrat fut conclu selon l’usage par une poignée de main. Ils commencèrent alors à discuter pour le plaisir. Ses voyages en Amérique et en Afrique faisaient de Jean Mocquet l’un des rares témoins érudits des nouveaux mondes. C’était une aubaine pour Guillaume Levasseur. Inversement, la fréquentation d’un cartographe fameux offrait à un grand voyageur l’opportunité de mettre en ordre ses idées et de frotter ses intuitions au jugement d’un expert. La somme de leurs savoirs réunis dans le petit atelier du Pollet n’était pas loinde résumer la science universelle. Ou du moins de couvrir l’étendue des connaissances sur les sciences naturelles, la cosmographie et la géographie. Et sur le fruit de leur hybridation : l’art de naviguer.

    Mocquet

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