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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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outre-mer. Alors, le monde fut partagé équitablement entre l’Espagne et le Portugal.
    — Quelle vergogne !
    — Alexandre VI Borgia, le père de Lucrèce, n’était pas à une turpitude près en appliquant ce droit d’usage. Vlan ! Le sceau des Borgia plaqué sur une galette de cire chaude de l’acte d’enregistrement. La terre des hommes ? Elle a deux ayants droit, pas un de plus.
    — C’est inique !
    — Tordesillas. Une bourgade dont le nom a enfiévré les rois. Tordesillas ! C’est là que les diplomates ont entériné le partage pontifical entre les deux couronnes. Quand le questionnement s’étendait à l’infini dans l’émerveillement des terres nouvelles, quand la Terre se dilatait de bonheur, le souci de leurs cosmographes affublés de robes de notaires futde faire enregistrer par leurs tabellions la possession de quelques îles tropicales.

    Les cognements avaient cessé au-dehors, et de violents éclats de voix indiquaient que l’on se chamaillait sur le chantier de la Marie-Salvatrice . Les altercations entre gens de mer étaient inhabituelles au Pollet. Titulaires taciturnes de la grève du carénage, les charpentiers de marine y maniaient la scie, l’herminette et le maillet à calfater à gestes et à bruits mesurés de sculpteurs. La dispute ne dura qu’un instant et les querelleurs s’étaient déjà dispersés quand Guillaume, intrigué, parvint à la fenêtre. Il continua vers la bibliothèque et s’y adossa, poursuivant sa démonstration de géographie politique.
    — François I er s’est fâché mais ça changeait quoi ? Gonneville, parti de Honfleur, est revenu avec un sauvage, des plumes de perroquets et du bois brésil sans même être capable d’expliquer d’où il rentrait. Et puis la tentative dramatique des frères Parmentier appareillés de chez nous du temps de ton arrière-grand-père a refroidi les rares tentations d’armer pour la mer des Indes.
    François était accoudé à la mappemonde qu’il parcourait du regard en jouant avec le compas à tracer.
    — Nous ne savions pas y aller ?
    — C’était trop tôt. La science nautique portugaise n’était pas encore parvenue ici. – Il choisit un ouvrage et le brandit. – La Cosmographie d’Alphonse de Saintonge. Le premier traité publié chez nous. Pas prêt en ce temps, ni aucun autre. Nul ne savait comment se rendre aux Indes orientales et nul n’en avait le courage, hormis les Portugais.

    Au temps dont parlait maître Levasseur, les dimensions de l’Atlantique dépassaient l’entendement des peuples européens. Aucun obstacle matériel mais une barrière mentale leur en interdisait l’accès plus loin que les îles Canaries. Non pas un interdit religieux. Beaucoup plus que cela. La peur. La peur de l’indicible au seuil de la mer des Ténèbres. Une terreur animale. Les marins lusitaniens avaient osé provoquerles mythes et ils les avaient vaincus. Les vessies crevées abandonnées dans leur sillage étaient les trophées d’une formidable victoire sur l’obscurité, sans doute leur plus remarquable contribution aux progrès de l’humanité.
    Guillaume remit la Cosmographie à sa place en écartant les livres voisins d’une main soigneuse.
    — Les vents porteurs, les courants, les dangers et les havres sûrs étaient les secrets d’État des Portugais acquis et assimilés année après année par deux ou trois générations de découvreurs. Ils ont vraiment gagné de plein droit la possession des Indes.

La lettre avait été déposée selon l’habitude par Rafael dans le tiroir du bas à droite du contador, l’inévitable cabinet en palissandre posé sur son haut piétement torsadé dans le salon des agapanthes.

    Dona Margarida de Fonseca Serrão et dona Zenóbia de Galvão rentraient à pied à la tombée de la nuit. Elles avaient, en voisines, rendu une visite spirituelle au recteur de l’université. L’ornementation baroque de la salle des actes occupant l’ancienne chapelle du collège des jésuites du Saint-Esprit leur était devenue familière au fil de ces entretiens réguliers dans une odeur indatable d’encaustique, de bougie et de vieux vélins. En ce second jour de juillet, la chaleur avait été torride, réverbérée par les galets pavant les ruelles et par les crépis mauresques à la chaux. Cet inconvénient entraînait paradoxalement l’un des charmes romantiques d’Évora puisque, s’éveillant à la fraîche, la ville blanche vivait des étés

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