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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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chance, un peu de travail selon mon art. Après si peu de jours, je vais repartir tellement changé que je me demande comment je vais passer mes jours à Dieppe, à tourner en rond en ruminant tant de souvenirs fantastiques.
    Le Terreiro dos Galos était animé comme d’habitude. Les servantes et les intendants vaquaient à leurs achats, les poulets et les canards protestaient dans leurs cages. La vie roulait son cours tranquille. Elle continuerait sans lui.
    — Quelle ville étrange ici, autour de nous, si plaisante, si paisible. Pourtant, on m’y a relevé pour mort. J’y ai vu partout des criminels lâches, des pervers maladifs, des fonctionnaires corrompus, des profiteurs insatiables, des courtisans insolents, des gens sans cœur ni pitié, tous ceux-là qui font marcher les Indes à leurs pas tortueux.
    — Pourquoi voulais-tu rester à Goa alors ? Pas pour Asha ni même pour la farangi qui te rend malade d’amour. Alors pourquoi ?
    — Je me sens bien ici.
    Le bol de porcelaine à décor bleu pendait vide au bout de son bras gauche. Il avait porté sa main droite à son front, le marquant par mégarde de trois traces de sauce rouge.
    — J’ai eu le privilège d’y croiser des hommes de fer comme dom André de Mendonça et de lumière comme Pedro Fernándes de Queirós. Et autour d’eux, des prêtres enthousiastes, totalement dévoués à leur foi. J’y ai vu unesociété multiple, tolérante malgré l’Inquisition, métisse par la force des choses. J’y ai senti comme je l’espérais passer le grand souffle des bâtisseurs de l’empire, la respiration puissante de la vieille Europe régénérée.
    Asha battit des mains pour masquer sa détresse.
    — Je ne comprends pas exactement ce que tu veux exprimer, mais tu le dis bien. Tu devrais faire des sermons en chaire. Tu es un vrai prédicateur. Tu viens aussi de te peindre les trois raies de Shiva sur le front. Nous, les Indiens sauvages, nous nous lavons les mains à l’eau dès la fin des repas. Finalement, je ne suis pas mécontente de ne pas te suivre dans ton pays de cochons.
    Il la souleva du sol et l’entraîna dans un petit tourbillon joyeux.

    Ils convinrent quelques heures plus tard, allongés côte à côte dans leur appentis du quartier des pêcheurs, qu’ils assisteraient ensemble à la messe de minuit à Sào Francisco de Assis.
    — Comme un couple, précisa Asha en pivotant vers lui. Ce sera comme si nous allions nous marier. J’ai l’intention d’y communier avec la Sainte hostie. Je veux que tu me promettes d’en faire autant.
    Aussi forte qu’elle était, elle ne put empêcher ses yeux de briller.

    Les préparatifs de l’appareillage de la flotte faisaient bouillir les Ribeiras à l’approche du solstice d’hiver, alors que l’on préparait partout Noël dans les paroisses et dans les monastères. L’embarquement de la suite de dom André Furtado de Mendonça, capitaine-major de la flotte, à bord de la caraque amirale Nossa Senhora da Penha de França fut fixé au 26 décembre pour un appareillage à partir du 28.
    Les autres suivraient à une semaine d’intervalle, derrière Nossa Senhora do Monte do Carmo battant le pavillon de dom Manoel de Meneses, capitaine-major des caraques. Nossa Senhora da Piedade partirait sous le commandement de dom Pedro de Coutinho qui venait de quitter le gouvernementd’Ormuz. Il prendrait à son bord l’ambassadeur de Perse et ses volumineux bagages. Chargé de négocier l’engagement du roi d’Espagne contre les Turcs, il emportait des cadeaux protocolaires somptueux. François Pyrad serait rapatrié à bord de Nossa Senhora de Jesus qui mettrait à la voile dans les premiers jours de février. Franchi le cap de Bonne Espérance contre les mauvais vents d’ouest, les navires allaient trouver enfin les vents du sud qui les pousseraient le long de l’Afrique. Sauf présence hollandaise, ils feraient escale à l’île de Sainte-Hélène où la flotte se regrouperait. Du moins en principe.

    Jean était occupé à trier et à emballer ses herbes, ses onguents et ses plants à acclimater au Louvre. Il multipliait des démarches énervantes pour obtenir leurs passeports. Leur double statut paradoxal de protégés du gouverneur et d’étrangers expulsés compliquait singulièrement ses relations exécrables avec les fonctionnaires de la Casa da India. Il ne fut pas simple non plus d’obtenir la délivrance, comme à l’aller, de la botica, le coffre de drogues et

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