L'arbre de nuit
d’ingrédients magistraux attribué au médecin personnel de dom André. Bien qu’il eût exercé quelques semaines les fonctions d’apothicaire de l’hôpital, ce qui avait été difficile au départ de Lisbonne quand il servait un futur vice-roi était une gageure à Goa où il raccompagnait un ancien gouverneur. Pour vaincre l’hostilité des comptables de l’apothicairerie, il avait été contraint de solliciter de guerre lasse une lettre de recommandation de Mendonça. Le prestige et la santé préoccupante de dom André avaient finalement attendri les comptables xénophobes.
Le 24 décembre, les rues de la ville s’encombrèrent d’étals recouverts de nappes blanches brodées et décorées de fleurs, couvertes de friandises, massepains, dragées, confitures et pâtes de fruits que l’on s’offrirait réciproquement en échangeant des vœux de bonne année. Aux carrefours, à l’entrée de chaque maison, des scènes de la Nativité grandes ou petites, toujours soignées et souvent ingénieuses, attiraient les badauds, parées et encadrées de soieries, de damas et de candélabres. Les plus remarquables représentations du mystère attiraient les familles dans les églises où des animations étaient mues et parlées par des marionnettistes. On s’écrasait au Bom Jésus pour y admirer une crèche vivante, dans un décor de palmes et de rochers peints. C’était le second Noël de Jean et de François au soleil des tropiques après la pauvre messe entendue dans les décombres fumants de la Miséricorde de Mozambique. Ici, la Rome orientale rayonnait des ors et des certitudes de sa foi conquérante.
La messe serait dite partout sur les onze heures du soir. Avant de s’y rendre, la coutume était de prendre sans retenue un souper généreux pourvu que l’on renonçât ce soir-là aux viandes et au poisson. La pénitence était douce puisqu’ilrestait à accommoder toutes les ressources culinaires de l’Inde végétarienne. François alla chercher Asha chez elle comme ils en étaient convenus. Il avait en poche un certificat de confession délivré par un prêtre en colère, moyennant la récitation d’un nombre incalculable de dizaines de chapelet et la promesse solennelle de revenir à une pratique régulière.
Elle apparut sur le seuil dans une aube blanche de nouvelle convertie, son certificat à la main. Il l’avait toujours vue en sari de couleur vive. Des fleurs de jasmin dégringolaient en guirlande le long de ses cheveux coiffés en queue de cheval. D’autres étaient assemblées en long collier de plusieurs rangs. Cette parure de fleurs blanches coulant le long de ses cheveux noirs sublimait sa tenue austère en robe de fête.
— Mogrî, commenta-t-elle en soulevant son collier. Elles sentent très bon. J’ai voulu te faire honneur pour ton dernier jour à Goa. Je suis en blanc, comme toi.
Elle fit un tour sur elle-même pour se faire admirer.
— Je te plais ?
Elle lui plaisait à en pleurer. Elle lui prit le bras et ils marchèrent vers la ville comme un couple ordinaire.
Le parvis de Sào Francisco de Assis était comme chaque dimanche une inextricable cohue que l’obscurité rendait inquiétante, embrasée de lanternes et de flambeaux comme un champ de bataille. Asha se serra contre lui. Il lui fraya du bras un chemin parmi les soldats et les fonctionnaires, les fidalgos et leurs domestiques, les anciens et les nouveaux chrétiens, les religieuses et les dames de la société caparaçonnées de leurs parures des grands jours.
La messe de la Nativité commença dans un grand brouhaha. Le silence tomba de mauvaise grâce comme à l’accoutumée au moment de l’élévation, quand cessa la cacophonie des appels pathétiques du Deus de misericórdia .
Au moment où ils s’approchaient l’un et l’autre de la table de communion, avant que le rang des hommes se sépare de celui des femmes, la jeune Indienne lui saisit la main et lui glissa prestement au doigt un mince anneau d’or. Il vit qu’elleportait elle aussi une alliance. Son sourire était espiègle et lumineux, puis elle prit l’allure recueillie des communiantes, les mains jointes et les yeux baissés.
Après l’ Ite Missa est, elle s’accrocha à nouveau à son bras quand ils sortaient, portés dehors avec la foule par les chœurs triomphaux. Elle venait de se proclamer sa femme selon un rite à elle. Pour rire, jusqu’à demain et pour toujours. Ils avançaient l’un contre l’autre,
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