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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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cartes.
    Frappant le bras de son fauteuil de la pointe de son index, dom Baptista Fernão prit le temps de laisser son visiteur se préparer à ce qu’il allait lui annoncer.
    — Mon ami, au risque de te décevoir, je ne chercherai pas à contourner le barrage d’une xénophobie exacerbée par trop d’importunités. L’humiliation des officiers et du cosmographe major de la Casa légitime leur hargne. Je la respecte.
    Le provedor laissa un instant Jean à sa déception puis il repoussa brusquement son siège et se leva. Il alla vers Jean et posa sa main sur son épaule.
    — Comme mon frère Pedro, je suis maintenant ton débiteur. Parce que tu l’as arraché des griffes des Maures, je te promets de rechercher une meilleure idée.

    Le palais royal dont ils sortirent étirait trois étages de loggias et de galeries perpendiculairement au fleuve sur lequel ils’achevait par une tour carrée dans l’esprit de la Renaissance. Ses arcades abritaient les échoppes, les étals et les épiceries d’un petit bazar.
    Jean et François cheminaient à travers les embarras du terre-plein, encombré d’amoncellements de matériaux de construction. Du côté opposé au palais, à côté d’un grenier à grains, on achevait une nouvelle douane, et toute l’esplanade était en cours d’embellissement. En bordure du Tage, la Ribeira avait été longtemps un arsenal au cœur de Lisbonne. Quand l’énormité des nouvelles caraques avait obligé à déplacer les quais d’armement vers des eaux plus profondes en aval, l’esplanade avait été colonisée par les marchés hebdomadaires au bétail et les foires aux chevaux. Promue place royale par Filipe Premier, on travaillait à sa domestication par un plan d’urbanisme soucieux de majesté.
    Jean s’arrêta pour souffler et hocha la tête, les mains sur les hanches. Du côté opposé au Tage le front de ville se dressait comme un rempart contre le désordre de la Ribeira. Un alignement de hautes maisons de pierres blanches, les unes juchées sur des arcades, les autres couronnées par des loggias, répondait assez harmonieusement à la longue façade du palais.
    — Je reconnais qu’aucune esplanade au monde ne sera aussi propice aux fêtes que celle-ci.
    — J’ai peine à croire qu’il n’y a pas d’aussi belle place à Paris.
    — Pas encore. Henri vient tout juste d’ordonner de raser le marché aux chevaux du Marais pour y établir une place carrée de noble architecture sur des arcades formant galeries.
    Jean promenait un regard circulaire sur le chantier confus.
    — Vois-tu, François, Lisbonne se donne une figure avenante mais elle est décidément renfrognée et suspicieuse. Il est clair que dom Baptista Fernão ne pourra vraiment rien pour nous malgré sa sympathie.
    Ils firent un long détour à travers la Baixa, pour ne pas se retrouver trop vite en tête à tête avec leur désappointement.

    Une semaine plus tard, un officier vint demander Jean Mocquet et lui fit savoir que le vice-roi souhaitait le recevoir au plus tôt. Le cinquième comte da Feira était un homme bouffi plutôt que gros, d’allure maladive mais noble, dont le visage translucide émergeait comme une monnaie-du-pape de son col de dentelle. Son aisance à pratiquer le portugais, ses références royales et ses connaissances rares en médecine et en herboristerie firent obtenir à Jean la faveur exceptionnelle d’être réclamé par le futur vice-roi des Indes à titre d’apothicaire personnel. François fut engagé au titre d’assistant. Cette décision ne laissait aucun recours aux fonctionnaires de la Casa. Le provedor avait tenu parole.

Depuis cette victoire inespérée, les deux Français attendaient dans une oisiveté impatiente la constitution de la flotte. Pendant leurs heures de plénitude contemplative sur leur toit, ils s’interrogeaient quelquefois sur la légitimité de leur aventure. Pourquoi diable s’obstinaient-ils à vouloir partir à tout prix ? Lisbonne leur proposait des perspectives infinies. Malgré la méfiance envers les étrangers, ils y étaient nombreux, surtout les Génois. L’expérience professionnelle de François lui donnait de bonnes chances d’assurer comme eux sa fortune dans l’atelier d’un cosmographe ou d’un fabricant d’instruments nautiques. Jean trouvait quant à lui dans ce caravansérail de la route des Indes matière à des connaissances nouvelles. La ville était fascinante par sa capacité d’assumer les preuves de

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