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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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fébrilité du départ proche, on y ressentait déjà la gravité du grand voyage.

    L’apothicaire royal rendait des visites régulières à la maison de l’Inde, soucieux de prévenir les malveillances et les traîtrises. Il avait accompli depuis longtemps les formalités de leurs passeports avant la cohue déclenchée par l’ordre d’appareillage immédiat. Sauf lorsque le provedor ou dom César accompagnaient personnellement ses démarches, il était accueilli de mauvaise grâce. Sur l’ordre exprès de dom Baptista Fernào, l’apothicaire de la Casa lui remit contre déchargel’objet de ses fonctions : une botica, le coffre compartimenté contenant les drogues et les potions courantes nécessaires sinon suffisantes à l’exercice de ses responsabilités de médecin du vice-roi. Deux cruzados d’or, deux réales d’argent et trois sacs de cinquante réis de zinc constituant ses sept mille cinq cents réis d’appointements lui furent poussés du bout du doigt par un comptable dont l’obséquiosité outrée jusqu’à la parodie dénonçait la fureur rentrée. Ce salaire couvrait dix mois de traitement du personnel attaché directement au capitaine-major. Le barbier qui exerçait les fonctions de chirurgien recevait sept mois d’avance avant le départ pour Goa, et les autres gens de la maison quatre voire trois mois seulement. Jean s’amusa à imaginer que le comte da Feira avait pris soin de se garantir, en payant d’avance, une survie au moins aussi longue que la charge de son médecin personnel.

Margarida, sa tante, leur servante Carmen et leurs malles de cuir embarquèrent le lendemain dimanche à Cacilhas sur une barque qui traversa le Tage pour les conduire à bord de Nossa Senhora do Monte do Carmo . L’énormité de la caraque les affola quand elles accostèrent la muraille sombre qui les plongeait dans l’ombre. Devant leurs yeux, d’étroits parallélépipèdes de bois larges de quelques doigts dessinaient sur la coque une échelle virtuelle se perdant vers le ciel. Tout cela montait et descendait, ou semblait monter et descendre parce que la barque s’était mise à rouler sous leurs pieds.
    — Mon Dieu ! Devrons-nous escalader cette montagne et nous rompre les os avant même de partir ? Je n’aurai pas la force de grimper à bord, Margarida.
    — Moi non plus ma tante mais je vois descendre vers nous ce que je suppose être un secours charitable.
    Les passagères furent en effet enlevées dans les airs l’une après l’autre et déposées sur le pont par la chaise suspendue destinée aux hôtes de marque, hissée à force de bras par des gabiers. Pendant leur ascension, Margarida retrouva avec nostalgie la balançoire de son enfance, Zenóbia ferma les yeux et récita un Ave Maria et la jeune Carmen claqua des dents.

    La pièce dans laquelle elles entrèrent était meublée de six lits de sangles superposés se faisant face trois par trois. À leurs pieds, deux bancs étaient jetés de part et d’autre d’une table suspendue par des courroies de cuir. Comme tous les meubles ingénieux des postes d’équipages, on pouvait la relever au plafond et l’y maintenir par des taquets pour dégager l’espace quand elle ne servait pas. Un lanterneau large de deux mains ouvrant sur le pont du gaillard laissait tomber une lumière joyeuse qui s’efforçait d’égayer l’indigence de cette cellule. Bien qu’étant prévenue de l’austérité monacale des navires au long cours, Margarida se cacha les yeux des deux mains quand elle découvrit leur demeure. Zenóbia de Galvão interpella l’homme qui les avait conduites jusque-là le bonnet à la main.
    — Mon Dieu ! Voyons les autres pièces.
    — Quelles autres pièces ?
    — Serait-ce là tout notre appartement ?
    — Oui, senhora.
    Leur guide était abasourdi. Son regard allait et venait de la dame furieuse à la belle chambre dont elle ne voulait pas.
    — Je vous assure, senhora, que vous êtes les privilégiées de cette nau ! À part le capitaine et l’entourage du capitaine-major, il n’y a pas de meilleur gîte.
    — Prétendez-vous vraiment que nous allons rester confinées ici ma nièce et moi pendant plusieurs mois ?
    — Je le crains, senhora. Je serais étonné que sa seigneurie trouve meilleur logement que celui-ci qu’il vous a destiné.
    L’homme se racla la gorge.
    — C’est une chambre pour six personnes.
    — Vous n’allez pas me dire que nous devrons la partager avec…
    — Si,

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