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L'arbre de nuit

L'arbre de nuit

Titel: L'arbre de nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: François Bellec
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senhora. Quatre dames vont embarquer tantôt. – Il était finalement un peu peiné par sa détresse. – Vous serez ici entièrement chez vous. Vous y serez tranquilles et surtout vous pourrez vous y enfermer à l’abri.
    — Nous enfermer ? Ne le sommes-nous pas déjà à bord de ce navire ? Et à l’abri de quoi, grand Dieu ?
    — Votre servante ne sera pas autorisée à coucher dans la coursive devant votre porte comme les esclaves mâles et lesvalets. Elle devra chaque soir rejoindre le quartier des femmes. Votre porte ne sera donc pas gardée.
    — Serions-nous à la merci de pirates ? Des sauvages prendraient d’assaut cette forteresse flottante ? Vous plaisantez !
    — Aucun bateau ne peut être plus sûr que la population qu’il transporte, senhora. Et les navires de la carreira emmènent en Inde le Portugal tout entier, depuis les fidalgos jusqu’aux chemineaux. Le plus dangereux n’est d’ailleurs pas forcément le va-nu-pieds.
    Zenóbia resta les bras ballants, les larmes aux yeux. Elle insista d’une voix blanche.
    — Ce réduit infect manque d’air. Je paierai votre prix mais il faut absolument nous mettre ailleurs.
    — Senhora, partout ailleurs c’est pire. Vous n’aurez qu’une échelle à gravir pour atteindre le gaillard et y respirer l’air de la mer. Vous êtes vraiment chanceuses, je vous l’assure. Je m’appelle João Luis pour vous servir. Vous pourrez me faire chercher aux abords du mât d’artimon quand vous aurez besoin de moi. Je n’en serai jamais très loin.

François et Jean plongèrent leurs visages dans l’eau bienvenue d’une vasque en marbre blanc émergeant comme un nymphéa d’un sol limoneux encore gorgé des pluies récentes. La carriole dont ils venaient de sauter entre le Tage et le très long mur d’un couvent les avait bringuebalés depuis le largo de São Raphaël au pied de l’Alfama. Elle s’était aussitôt remise à cahoter imperturbablement vers l’ouest, et les dos de leurs anciens compagnons de route adossés, couchés, assis ou accroupis sur leurs ballots selon la relativité de leurs fortunes, ne réagirent pas à leur adieu de pure forme quoiqu’à grands gestes de bras.
    — À se revoir ! Adeus ! Felicidades !
    — Ils devraient être joyeux à l’idée du formidable voyage qu’ils vont entreprendre tout à l’heure, mais regarde-les ! Ils sont déjà rentrés en eux-mêmes, comme s’ils suivaient leur propre enterrement.
    — Ils le suivent, François. C’est la mort qui conduit cette charrette. Les Bretons redoutent de voir passer sur la lande la charrette aux essieux grinçants dont l’Ankou, la mort, tient les rênes, debout, la faux dressée. La moitié peut-être des passagers de ce char à bancs dont nous faisions partie il y a un instant ne reviendront jamais à Lisbonne. Peut-être plus,peut-être moins. Le destin hésite encore à faire son choix. Toi ? Moi ? Nous deux ?
    — Ni l’un ni l’autre ?
    — C’est possible aussi.
    — C’est au moins une hypothèse à privilégier. Ils ont peur parce qu’ils sont sages mais leur espoir est grand de rentrer riches. Et sur ce point, peut-être sont-ils fous. – Jean afficha un air désinvolte – D’où venons-nous ? Où allons-nous ?
    —  Donde vêm ? Onde vão ?
    — Bien François ! Tu es en progrès.

    Autour d’eux, des femmes portant uniformément la jupe rouge, le chemisier blanc et le boléro noir traditionnels comme si elles s’étaient échappées d’un pensionnat jacassaient continûment, sous le prétexte de remplir leurs jarres aux griffons de la fontaine.
    — Je t’ai heureusement convaincu de voyager légers pour que nous puissions nous arrêter ici, d’où nous rejoindrons sans peine le Restelo.
    — Oui, Jean. Sauf que, nos coffres ayant disparu dans l’immensité de l’Empire lusitanien, nous serons réduits à séduire les élites et les belles Goanaises vêtus de nos seules chemises élimées, plus imprégnées de sueur que le Saint Suaire. Je suis convaincu que nos hardes sont déjà bradées par les revendeurs furtifs de la place du palais.
    — Nous appartenons tous les deux à la maison du vice-roi des Indes. Cela accorde à nos bagages et à mon coffre de drogues un sauf-conduit aussi sûr qu’une escorte militaire. Et puis j’ai toute confiance en la diligence de Pedro César.
    — Tu nous as fait trimballer dans une carriole de paysan. Rafaela s’est étonnée que nous ne rejoignions pas le

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