L'arc de triomphe

Curetage nécessaire. Lésion apparente de la membrane interne.
    –  Apparente ?
    –  Vous voyez vous-même… Bon, lésion de la membrane interne.
    –  Et puis ? » insista Ravic.
    Il examinait le visage de Durant. Ce visage était rempli de haine impuissante. Il ne me pardonnera jamais, pensa Ravic. Surtout en présence de Veber.
    –  Perforation, dit Durant.
    –  Avec la curette ?
    –  Naturellement, dit Durant après hésitation. Avec quoi d’autre ? »
    L’hémorragie était complètement arrêtée. Ravic poursuivit en silence son examen. Puis il se redressa.
    « Vous avez fait la perforation. Vous ne vous en êtes pas aperçu. En la faisant, vous avez entraîné un repli de l’intestin à travers l’ouverture. Vous ne vous êtes pas rendu compte de ce que c’était. Vous l’avez probablement pris pour un lambeau de membrane fœtale. Vous avez essayé de l’enlever. Vous l’avez abîmé. C’est bien cela ? »
    Le front de Durant se mouillait de sueur. Derrière le masque de gaze, la barbe remuait, comme s’il eût essayé de mâcher une bouchée trop considérable.
    « C’est possible.
    –  Combien de temps avez-vous travaillé ?
    –  J’ai commencé environ trois quarts d’heure avant votre arrivée.
    –  Hémorragie interne. Blessure du petit intestin. Danger extrême d’infection. L’intestin doit être recousu et l’utérus enlevé. Immédiatement. »
    Durant battit les paupières.
    « Je sais tout cela. Ce n’est pas pour me dire ça que je vous ai fait demander.
    –  C’est tout ce que je peux faire. Rappelez vos gens et continuez le travail. Je vous conseille de ne pas perdre de temps. »
    Durant mâchait de plus belle.
    « Je suis trop agité. Voulez-vous faire l’opération à ma place ?
    –  Non. Comme vous le savez, je me trouve en France illégalement et je n’ai pas le droit d’opérer.
    –  Vous… » commença Durant, puis il se ravisa et se tut.
    Des assistants, des étudiants qui n’ont pas terminé leurs études, des masseurs ; et une fois ici, tous ces gens-là proclament qu’en Allemagne, ils étaient de grands médecins… Ravic n’avait pas oublié ce que Durant avait dit à Levai.
    « M. Levai m’a expliqué cela, dit-il. Avant que je ne sois expulsé. »
    Il vit Veber lever vivement la tête. Durant ne répondit pas.
    « Le docteur Veber peut faire l’opération pour vous, dit Ravic.
    –  Mais vous avez opéré à ma place assez souvent… Si c’est une question de prix…
    –  Le prix n’y est pour rien. J’ai cessé d’opérer depuis mon retour. De toute façon, je refuserais certainement de m’occuper d’une patiente qui n’a pas donné son consentement pour une opération de ce genre.
    –  Mais je ne peux tout de même pas réveiller la patiente maintenant pour le lui demander !
    –  Du moins pas sans risque de septicémie. »
    La face de Durant était baignée de sueur. Veber lança un regard à Ravic, qui lui fit un signe affirmatif.
    « Peut-on se fier à vos infirmières ? demanda Veber.
    –  Oui…
    –  Nous n’aurons pas besoin de votre assistant. Nous sommes trois médecins et avec les deux infirmières, cela suffira.
    –  Oui…
    –  Ravic… » commença Durant.
    Mais il n’alla pas plus loin.
    « Vous auriez dû demander Binot, dit celui-ci.
    Ou Mallon, ou Martel. Ils sont tous des chirurgiens de premier ordre. »
    Durant ne répondit pas.
    « Êtes-vous prêt à déclarer, en présence de Veber, que vous avez fait une perforation et déchiré un repli de l’intestin, croyant qu’il s’agissait d’une membrane fœtale ? »
    La réponse ne vint pas tout de suite.
    « Oui, éjacula Durant d’une voix rauque.
    –  Êtes-vous également prêt à déclarer que vous avez demandé à Veber de faire l’ablation de l’utérus et de l’anastomose, et que vous m’avez demandé de l’assister, parce que je me trouvais là ?
    –  Oui.
    –  Acceptez-vous d’assumer toute la responsabilité pour l’opération et ses résultats, et aussi pour le fait que la patiente n’était pas informée et n’avait pas donné son consentement.
    –  Naturellement, gronda Durant.
    –  Très bien. Appelez les infirmières. Nous nous passerons de votre assistant. Vous pourrez lui expliquer que vous avez permis à Veber et à moi de vous assister parce qu’il s’agit d’un cas spécial et particulièrement compliqué. Une promesse que vous nous aviez faite, ou quelque chose