L'arc de triomphe
comme cela. Vous pourrez vous occuper de l’anesthésie. Est-il nécessaire que les infirmières se préparent de nouveau ?
– Non. La pièce à côté est également stérilisée.
– Tant mieux. »
La cavité abdominale était ouverte. Lentement, avec d’infinies précautions, Ravic dégagea le repli d’intestin qui était enfoncé dans la perforation de l’utérus. Il l’enveloppa dans des pansements stérilisés, pour le maintenir loin du péritoine jusqu’à ce que le moment le plus dangereux soit passé. Il couvrit ensuite entièrement l’utérus de pansements.
« Une grossesse ectopique, extra-utérine, mur-mura-t-il dans la direction de Veber. Voyez, en partie dans l’utérus, en partie dans le canal. Il est même délicat de trop le blâmer. Le cas est extrêmement rare. Mais quand même…
– Comment ? questionna Durant. Qu’avez-vous dit ?
– Rien. »
Ravic ouvrit l’intestin et fit la résection. Puis rapidement, il se mit à recoudre les extrémités ouvertes. Il sentait toute l’intensité de cette opération. Il oublia Durant. Il ligatura le canal et les artères, puis il coupa l’extrémité du canal. Il commença à enlever l’utérus. « Pourquoi n’y a-t-il plus de sang ? pensa-t-il. Pourquoi un organe comme celui-ci ne saigne-t-il pas plus encore que le cœur ? Lorsqu’on coupe à la fois le miracle de la vie et la possibilité de la transmettre ? »
La femme superbe qui était étendue devant lui était morte. Elle pourrait continuer à vivre, mais elle était morte. Une branche morte sur l’arbre des générations. En pleine floraison, mais privée du secret du fruit. Sortis de forêts qui s’étaient depuis longtemps carbonisées, des hommes énormes et simiesques s’étaient frayé un chemin à travers des milliers de générations. Les Égyptiens avaient construit leurs temples, Hellas avait connu sa gloire. Et mystérieusement, la course du sang s’était poursuivie, plus haut, toujours plus haut, pour créer finalement cet être humain ; aussi stérile qu’un épi vidé de ses graines, et qui ne transmettrait jamais son sang à un fils ou à une fille. La main maladroite de Durant avait rompu la chaîne. Mais ces milliers de générations n’avaient-elles pas travaillé aussi pour Durant ? La Grèce et la Renaissance n’avaient-elles pas fleuri pour produire finalement cette barbiche surannée ?
« Révoltant, dit Ravic.
– Quoi donc ? demanda Veber.
– Des tas de choses. »
Ravic se redressa.
« Fini ! »
Il sonda du regard le beau visage pâle avec sa radieuse auréole d’or roux. Il regarda le seau dans lequel était cette chose sanguinolente qui allait avec ce visage si beau. Puis il regarda Durant.
« Fini ! » répéta-t-il.
Durant interrompit l’anesthésie. Il ne regarda pas Ravic. Il attendit que les infirmières eussent emmené la patiente hors de la pièce. Puis il les suivit sans rien dire.
« Demain, il lui expliquera qu’il lui a sauvé la vie, dit Ravic à Veber. Et il lui demandera cinq mille francs de plus.
– Il n’a guère l’air de songer à cela pour l’instant.
– C’est beaucoup, une journée. Et le repentir ne dure pas. Surtout quand on peut le transformer en bénéfices. »
Ravic se leva. Par la fenêtre à côté du lavabo, il vit un balcon sur le rebord duquel étaient plantés des géraniums rouges. Un chat gris dormait sous les feuilles.
Il téléphona à la clinique de Durant, ce soir-là. Il était au Schéhérazade. L’infirmière de nuit lui dit que la femme dormait. Elle s’était un peu agitée quelques heures avant. Veber était venu et lui avait administré un léger sédatif. Tout semblait aller bien.
Ravic ouvrit la porte de la cabine. Un parfum violent vint frapper ses narines. Une femme aux cheveux teints entrait majestueusement, et comme avec un air de défi, dans les toilettes des dames. La femme de la clinique avait des cheveux blonds naturels. Une toison d’or roux ! L’éternel chœur russe chantait les éternels Yeux noirs. « Vingt longues années de tragédie, cela risquait fort de devenir ridicule, songea-t-il. La tragédie se devait d’être brève. »
« Je m’excuse, dit-il à Kate Hegstrœm, mais il fallait que je téléphone.
– Tout va bien, j’espère ?
– Pour l’instant, oui. »
« Pourquoi me le demande-t-elle ? se dit-il avec irritation. Tout ne va sûrement pas bien pour elle. »
« Vous avez tout ce
Weitere Kostenlose Bücher