L'arc de triomphe
qu’il vous faut ? questionna-t-il en indiquant la carafe de vodka.
– Non.
– Comment, non ? »
Kate se contenta de secouer la tête.
« C’est l’été, dit Ravic. On ne devrait jamais passer les soirées d’été dans des boîtes de nuit. L’été on devrait s’asseoir dans la rue. Près d’un arbre, si rachitique, soit-il, et même s’il est entouré d’une clôture de fer. »
Il leva les yeux, et son regard plongea droit dans celui de Jeanne. Elle avait dû entrer pendant qu’il téléphonait. Elle n’était pas là auparavant. Elle était assise dans le coin opposé.
« Voulez-vous que nous allions ailleurs ? demanda-t-il à Kate Hegstrœm.
– Vous voulez dire à l’ombre d’un arbre rachitique ? Je n’y tiens pas particulièrement.
– Vous avez raison. Du reste, cette vodka est excellente. »
Le chœur cessa de chanter et la musique changea. L’orchestre se mit à jouer un blues. Il vit que Jeanne se levait pour aller danser. Il ne pouvait la distinguer très nettement. Ni voir avec qui elle dansait. Mais chaque fois que le réflecteur balayait le plancher de son faisceau de rayons bleu pâle, elle émergeait dans la lumière, pour disparaître à nouveau dans la demi-obscurité.
« Avez-vous fait une opération aujourd’hui ? demanda Kate.
– Oui.
– Quelle impression cela vous fait-il de venir ensuite vous asseoir dans une boîte de nuit ? Un peu comme de rentrer dans une ville après une bataille, j’imagine. Ou comme de passer de la maladie à la santé ?
– Pas toujours. Parfois, je me sens tout simplement vidé. »
Les yeux de Jeanne semblaient transparents dans le pâle rayon de lumière. Elle regardait dans sa direction. « Ce n’est pas le cœur qui tressaille, pensa Ravic. C’est l’estomac. Un choc au plexus solaire. On a écrit des milliers de poèmes là-dessus. Mais ce choc ne provient pas de toi, corps charnel que la danse fait transpirer légèrement. C’est des profondeurs de mon cerveau qu’il provient – et ce n’est qu’accidentellement qu’un lien intangible le rend plus aigu chaque fois que tu passes dans le faisceau de lumière. »
« N’est-ce pas la femme qui chantait ici autrefois ? demanda Kate Hegstrœm.
– Oui.
– Elle ne chante plus ?
– Je ne crois pas.
– Elle est belle.
– Vous trouvez ?
– Oui. Elle est même plus que belle. Elle a un visage sur lequel la vie a mis une empreinte facilement visible.
– C’est possible. »
Kate Hegstrœm étudia Ravic du coin de l’œil. Elle sourit. Un sourire qui aurait pu facilement se terminer par des larmes.
« Versez-moi un autre verre de vodka, et partons », dit-elle.
Ravic sentit le regard de Jeanne lorsqu’il se leva. Il prit le bras de Kate. Le geste n’était pas nécessaire. Elle aurait parfaitement pu marcher seule. Mais il se dit que cela ne ferait pas de mal à Jeanne de le voir.
« Voulez-vous me faire un plaisir ? demanda Kate quand ils furent dans sa chambre à l’hôtel Lancaster.
– Certainement, Kate, dit Ravic préoccupé. Si je le peux.
– Voulez-vous m’accompagner au bal des Montfort ? »
Il leva la tête.
« Qu’est-ce que c’est que ce bal ? Je n’en ai jamais entendu parler. »
Elle s’installa sur une chaise, près de la cheminée postiche. La chaise semblait beaucoup trop grande pour elle. Elle avait l’air fragile, comme une statuette de porcelaine. La peau de ses joues était plus tendue que jamais.
« Le bal des Montfort est le grand événement social de l’été à Paris. Il a lieu vendredi prochain, dans l’hôtel et le jardin de Louis Montfort. Cela ne vous dit rien, je suppose ?
– Rien du tout.
– Vous m’accompagnerez ?
– Croyez-vous que ce soit possible ?
– Je vous obtiendrai une invitation. »
Ravic la regarda.
« Pourquoi, Kate ?
– Je voudrais y aller. Et je ne veux pas y aller seule.
– Il y a d’autres…
– Non. Je ne veux pas y aller avec les gens que je connaissais. Je ne peux plus les supporter. Vous me comprenez ?
– Oui. »
Elle sourit. Même son sourire s’était altéré. Il était devenu comme une sorte de voile brillant, derrière lequel l’expression du visage ne changeait pas.
« C’est la dernière garden-party de l’été. J’y suis allée chaque année depuis quatre ans. Vous allez me faire ce plaisir ? »
Ravic savait pourquoi elle voulait qu’il l’accompagnât. C’était
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