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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E.M. Remarque
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duchesses et les dames d’honneur se précipitaient vers la terrasse, en relevant leurs robes de brocart. Les ducs, les excellences, les maréchaux tentaient de protéger leurs perruques, et se bousculaient comme des volailles effrayées et multicolores. L’eau coulait dans les décolletés, délavant la poudre et le rouge. Un pâle éclair inonda le jardin de sa lumière irréelle, tandis que le ciel s’emplissait d’un formidable grondement.
    Sur la terrasse, Kate se tenait frileusement serrée contre Ravic.
    « Ce n’était jamais arrivé avant, dit-elle, déconcertée. Je suis venue ici souvent. Et jamais il n’a plu. Jamais. »
    Des domestiques affublés d’imperméables se précipitaient à travers le jardin avec des parapluies. Leurs bas de satin contrastaient étrangement avec leurs manteaux. Ils ramenèrent à la terrasse les dernières dames d’honneur trempées, et se mirent à la recherche d’écharpes, de gants et d’éventails perdus. L’un d’eux tenait une paire de souliers dorés. Il les tenait délicatement dans ses énormes mains. L’eau ruisselait sur les tables vides.
    « Rentrons », dit Kate.
     
    À l’intérieur, les pièces étaient trop petites pour le nombre des invités. Il était évident que personne n’avait prévu la possibilité d’un orage. Les pièces étaient encore remplies de l’atmosphère étouffante de la journée, que la foule rendait encore plus lourde. Les volumineuses robes des dames étaient fripées. Les traînes de soie s’étaient déchirées dans la course. On pouvait à peine remuer.
    Ravic était près de la porte avec Kate Hegstrœm. Devant lui, une abondante marquise de Montespan, les cheveux mouillés et plaqués contre le crâne, essayait de reprendre son souffle. Elle portait autour de son cou gras un collier fait de larmes de diamants. Elle ressemblait à une épicière trempée, au milieu d’un carnaval. À ses côtés, un homme chauve et sans menton toussait. Ravic le reconnut. C’était Blancher, du Quai d’Orsay, en Colbert. Deux femmes minces et belles, au profil de levrette, se tenaient devant lui ; un baron juif, gras et vulgaire, coiffé d’un chapeau orné de pierreries, leur caressait les épaules d’un air connaisseur. Quelques Sud-Américains, déguisés en pages, le regardaient faire avec étonnement. Un peu plus loin, Ravic vit la comtesse Bellin en La Vallière, avec son visage d’ange déchu, et une cascade de rubis. Ravic se souvint qu’il lui avait enlevé les ovaires deux ans auparavant, après que Durant eut fait le diagnostic. En somme, tous ces gens, c’était la clientèle de Durant.
    La senteur de la pluie, la chaleur lourde, oppressante, mêlées à l’odeur du parfum, de la peau, et des cheveux mouillés. Les visages, lavés par la pluie, nus sous les perruques. Ravic regarda autour de lui. Il vit de la beauté ; et aussi de l’esprit, et de la finesse sceptique. Mais ses yeux étaient habitués à relever les moindres signes de maladie, et une surface parfaite ne le trompait jamais. Il savait qu’une certaine classe de la société demeure toujours la même à travers les siècles ; il savait aussi quels sont les symptômes de la fièvre et de la pourriture. La promiscuité ; la tolérance envers les faiblesses, la dérision impotente ; l’esprit sans délicatesse ; le sang épuisé qui s’était dépensé en ironie, en petites aventures, en mesquines convoitises, et en incessant ennui. Le monde ne sera pas sauvé par ceux-là, songea-t-il. Mais par qui ?
    Il regarda Kate Hegstrœm.
    « Vous n’aurez rien à boire, dit-elle. Les domestiques ne pourront pas circuler.
    –  Ça ne fait rien. »
    Les remous de la foule les entraînaient peu à peu vers le salon voisin, où des tables chargées de bouteilles de Champagne avaient été dressées à la hâte le long des murs.
    Des lustres étaient allumés çà et là. La nappe de lumière douce qui en tombait était brutalement déchirée par les éclairs du dehors dont l’éclat fixait sur les visages une expression macabre et fantomatique. Les roulements du tonnerre noyaient les conversations, jusqu’au moment où la lumière douce revenait et, avec elle, la vie et la chaleur étouffante.
    Ravic indiqua les tables chargées de Champagne.
    « Une coupe ?
    –  Non. Il fait trop chaud. »
    Elle leva les yeux sur lui.
    « Eh bien, la voilà, ma fête !
    –  La pluie ne va pas durer.
    –  Je ne crois pas. Mais peu importe… tout

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