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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E.M. Remarque
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est abîmé. Savez-vous ce que je voudrais ? Sortir d’ici…
    –  Moi de même. C’est comme à l’époque qui a précédé la Révolution. On s’attend à voir les sans-culottes d’une minute à l’autre. »
    Ils mirent beaucoup de temps à atteindre la sortie. Kate Hegstrœm avait l’air d’avoir dormi dans son costume. Dehors, la pluie tombait dru. Les maisons d’en face semblaient onduler, comme si on les eût vues à travers une vitre mouillée.
    La voiture avança.
    « Où voulez-vous aller ? demanda Ravic. À votre hôtel ?
    –  Pas tout de suite. Mais nous ne pouvons aller nulle part dans ces costumes. Si vous le voulez, faisons tout simplement un tour.
    –  Très bien. »
    La voiture roulait doucement dans la nuit de Paris. Le son de la pluie sur la capote semblait éteindre tous les autres bruits. L’Arc de Triomphe apparut, gris dans la cascade argentée, puis disparut. Les Champs-Élysées défilèrent avec leurs vitrines étincelantes. Le Rond-Point embaumait les fleurs et la fraîcheur, comme une oasis au milieu du tumulte de la nature. Puis la Concorde, large comme l’océan, avec ses tritons et ses monstres marins. La rue de Rivoli avec ses arcades brillantes, comme une vision fugitive de Venise. Le Louvre, gris et éternel, son interminable cour et ses fenêtres noires. Puis, les quais, les ponts, glissèrent, irréels, sous l’averse. Les péniches, un remorqueur, portant une douce lumière, chaude et réconfortante comme un foyer. La Seine, les boulevards, avec les autobus, le bruit, la foule, et les boutiques. Les grilles de fer du Luxembourg, et derrière, le jardin, comme un poème de Rilke. Le cimetière de Montparnasse, silencieux et abandonné. Les vieilles rues étroites, entassées les unes contre les autres, les maisons, les places endormies, où on découvrait soudain des arbres, des façades déformées, des églises, des monuments marqués par le temps. Les réverbères, clignotant sous la pluie ; les pissotières, surgissant du sol comme des fortins, les rangées d’hôtels, où l’on louait des chambres à l’heure ; et entre les rues anciennes, en style rococo et baroque, où leurs devantures semblaient sourire, des portes sombres comme celles des romans de Proust…
    Kate Hegstrœm demeurait silencieuse. Ravic fumait. Il voyait le bout incandescent de sa cigarette, mais il ne goûtait pas la fumée. C’était comme si, dans l’ombre de la voiture, il eût fumé une cigarette irréelle. Tout semblait du reste s’idéaliser… Cette promenade, cette voiture silencieuse sous la pluie, ces rues qui glissaient, et dans le coin, cette femme muette, dans son costume auquel la lumière s’accrochait au passage, et dont les mains marquées par la mort étaient posées sur le brocart comme si elles n’allaient plus jamais remuer… C’était une tournée de fantômes, dans un Paris de fantômes, où flottaient des pensées inachevées, et des adieux jamais prononcés et vides de sens.
    Il songea à Haake. Il essaya de décider de ce qu’il allait faire. Il pensa à la femme aux cheveux d’or roux qu’il avait opérée, à la soirée pluvieuse de Rothenburg ob der Tauber, avec une femme qu’il avait oubliée, à l’hôtel Eisenhut où un violon égrenait ses notes par une fenêtre anonyme. Il se rappela Romberg, abattu en 1917 pendant un orage, dans un champ de coquelicots des Flandres… Un orage qui, mystérieusement, semblait avoir emprunté les gueules des mitrailleuses, comme si Dieu, lassé de l’humanité, s’était mis à tirer sur la terre. Il lui sembla entendre le son d’un accordéon, affreux et faux, et plein d’une affreuse nostalgie, que jouait un des fusiliers à Houthulst. Il eut une brève vision de Rome sous la pluie, d’une route mouillée derrière Rouen. Les pluies incessantes de novembre sur les toits des baraques du camp de concentration ; les paysans espagnols morts, et dont l’eau emplissait la bouche ouverte ; le visage humide de Claire, au moment où elle allait mourir ; la route de l’université de Heidelberg, avec le lourd parfum des lilas… Tout le passé dans une lanterne magique ; une procession d’images disparues qui défilaient, comme un poison réconfortant…
    Il éteignit sa cigarette et se redressa. Assez. Celui qui regardait trop en arrière risquait de se heurter à un obstacle, ou de tomber dans un précipice.
    La voiture roulait maintenant dans les rues de Montmartre. La pluie avait cessé. Des

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