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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E.M. Remarque
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terriblement vivante, la réflexion de ces yeux, qui étaient maintenant dans la malle, comme une gelée sans vie, s’emplissant de la poussière qui filtrait à travers les interstices.
    « En Allemagne ? Ah ! j’y suis. À une réunion du parti. À Nuremberg. En effet, je crois me souvenir. N’était-ce pas au Nuremberg-Hof ?
    –  Non, Haake. »
    Ravic parla lentement à la vitre du pare-brise, et il sentit que le sombre flux des années enfuies revenait l’engloutir.
    « Pas à Nuremberg, à Berlin.
    –  Berlin ? »
    La face rouge laissa voir un signe d’impatience.
    « Allez ! dites-le, mon ami. Dites-le ! Cessez de tourner autour du pot, et rafraîchissez ma mémoire. Où était-ce ? Cessez de me mettre à la torture !
    –  À la torture, Haake ? Tu as deviné, Haake. C’était dans la salle des tortures ! »
    Un rire incertain, rempli soudain de méfiance.
    « Cessez de plaisanter, mon ami.
    –  Dans la salle des tortures, Haake. Sais-tu maintenant qui je suis ? »
    Le rire plus incertain, plus méfiant, presque menaçant.
    « Et comment le saurais-je ? Je vois des milliers de gens. Je ne peux tout de même pas me rappeler chaque individu. Si vous faites allusion à la police secrète…
    –  Oui, Haake, la Gestapo. »
    Un haussement d’épaules. Sur ses gardes.
    « Si par hasard on vous y a déjà questionné…
    –  Oui. Tu ne t’en souviens pas ? »
    Nouveau haussement d’épaules.
    « Comment le pourrais-je ? Nous en avons questionné des milliers…
    –  Questionné ! Battu jusqu’à l’inconscience, les reins fracassés, les os brisés, jetés comme des sacs dans des caves infectes, puis de nouveau ramenés, le visage tuméfié, les testicules broyés… C’est-cela que tu appelais questionner ! L’affreuse plainte sanglante de ceux qui n’avaient plus la force de pleurer… C’est-cela questionner ! Les faibles gémissements des corps encore inconscients, les coups de pied au ventre, les matraques, les fouets, oui, c’est tout cela que tu appelais innocemment questionner ! »
    Ravic contempla la face invisible dans le pare-brise, à travers lequel glissaient le paysage campagnard, les champs de blé, les prairies ensanglantées de coquelicots, les haies d’aubépine… Il la contempla, et de nouveau ses lèvres remuèrent, et il lui dit tout ce qu’il aurait voulu lui dire, avant de le tuer, tout ce qu’il lui fallait dire maintenant…
    « Ne remue pas les mains ! Ou je t’abats comme un chien ! As-tu oublié le petit Max Rosenberg, qui était étendu près de moi dans le caveau, le corps déchiré, et qui tentait de se fracas ser la tête contre le mur de ciment, pour ne plus être questionné ? Pourquoi ? Parce qu’il était démocrate ! Et Wïllmann, qui évacuait du sang, et qui n’avait plus de dents, et plus qu’un œil, après avoir été questionné par toi pendant deux heures… Questionné, pourquoi ? Parce qu’il était catholique et qu’il ne croyait pas que ton Führer fût le nouveau Messie. Et Riensenfeld, dont la tête et le dos ressemblaient à de la viande de boucherie et qui nous suppliait de lui mordre les artères parce qu’il n’avait plus de dents, et ne pouvait plus le faire lui-même après avoir été questionné par toi… Questionné, pourquoi ? Parce qu’il était contre la guerre et parce qu’il ne croyait pas que les bombes et les lance-flammes fussent la parfaite expression de la culture. Questionnés ! Des milliers ont été questionnés, oui… Ne bouge pas, ordure ! Et maintenant, enfin, tu m’appartiens, et nous roulons vers une maison aux murs épais, et nous allons être seuls, et à mon tour, je te questionnerai… Lentement, lentement, pendant des jours, comme tu as questionné Rosenberg, comme Wïllmann, et comme Riensenfeld… Comme tu nous l’as enseigné. Et puis, après tout cela… »
    Ravic se rendit soudain compte qu’il roulait à une allure folle. Il ralentit. Des maisons. Un village. Des chiens. Des poules. Des chevaux galopant dans un pâturage, le cou tendu, la tête haute, pareils aux centaures du paganisme. Une femme qui riait, en portant un panier de linge. Les vêtements aux couleurs brillantes, étendus sur les séchoirs, drapeaux de bonheur calme. Des enfants jouant devant les portes. Il vit tout cela clairement, et cependant c’était comme si une muraille de verre l’en eût séparé. Oui, tout cela était près, et pourtant incomparablement loin, rempli

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