L'arc de triomphe
avait vue dans la chambre de la femme. Il essaya de se rappeler… Quel était son nom ? Madeleine… Mad… il l’avait oublié. C’était un nom semblable. Il examina le papier. Pas de lettre.
« Bien, dit-il au garçon. C’est pour moi. »
Il plaça la statuette sur la table. Elle semblait perdue parmi les pièces du jeu d’échecs.
« Une Russe ? demanda Morosow.
– Non. Je l’avais aussi cru, d’abord. Que veut-elle que j’en fasse ?
– Pose-la n’importe où. On trouve toujours une place pour ce genre d’objet. La place ne manque que pour les humains.
– J’imagine que l’homme est enterré, maintenant.
– Ah ! C’est-celle-là ?
– Oui.
– Tu ne t’es jamais donné la peine de chercher à la revoir ?
– Non.
– C’est curieux, dit Morosow. On est toujours prêt à venir en aide et l’on s’arrête juste au moment où l’on serait le plus nécessaire.
– Je ne suis tout de même pas une œuvre de charité, Boris. J’ai vu des cas infiniment plus désespérés et je n’ai jamais rien fait. Pourquoi serait-elle particulièrement malheureuse maintenant ?
– Parce qu’elle est seule. C’était différent, tant que l’homme était là, même mort. Maintenant, il est sous terre. Il n’est plus là. Ceci, Morosow indiqua la statuette, ceci n’est pas un remerciement, c’est un appel au secours.
– J’ai passé la nuit avec elle, sans savoir ce qui était arrivé. Je veux l’oublier.
– Allons donc ! C’est la chose la moins importante du monde, à moins que l’amour s’en mêle. J’ai connu une femme qui trouvait plus facile de coucher avec un homme que de l’appeler par son prénom. »
Morosow se pencha en avant, un reflet de lumière sur son crâne chauve :
« Laisse-moi te dire une chose, Ravic. Soyons charitables le plus longtemps possible, c’est une façon d’atténuer les prétendus crimes que nous commettrons encore. Pour moi, du moins, et pour toi aussi, probablement.
– Oui », dit Ravic.
Morosow entoura de son bras le vase de terre cuite où le palmier solitaire se désolait. Les feuilles tremblèrent.
« Nous dépendons tous les uns des autres. Ces courts éclairs de bonté, nous ne devrions jamais les laisser se perdre. Ils fortifient ceux qui vivent dangereusement.
– Tu as raison, dit Ravic. J’irai la voir demain.
– Bravo, dit Morosow. C’est-ce que je voulais dire. Et maintenant, cesse de tant parler. Qui a les blancs ? »
CHAPITRE V
L E patron reconnut Ravic immédiatement.
« La dame est dans sa chambre, dit-il.
– Pouvez-vous l’avertir que je suis là ?
– Elle n’a pas le téléphone. Mais vous pouvez monter.
– Quel numéro ?
– Vingt-sept.
– Voulez-vous me rappeler son nom ? Je l’ai oublié. »
Le patron ne manifesta pas la moindre surprise.
« Madou. Jeanne Madou. Je crois, du reste, que c’est un nom d’emprunt.
– Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?
– Elle s’est inscrite comme actrice.
– Le vingt-sept, m’avez-vous dit ?
– Oui, monsieur. »
Ravic frappa à la porte. Point de réponse. Il frappa une seconde fois et entra, après avoir perçu une voix faible. La femme, assise sur le lit accoté au mur, leva lentement les yeux. Elle portait le même tailleur bleu marine que le jour où Ravic l’avait rencontrée. Elle aurait eu l’air moins abandonné s’il l’avait trouvée étendue, en négligé. Mais il fut frappé de la voir en robe de ville, bien qu’elle n’attendît personne. Il connaissait cet état d’âme – il avait vu des centaines de réfugiés, ainsi naufragés sur un rivage étranger. Épaves d’une existence incertaine, ne sachant pas où aller ; seule la force de l’habitude les maintenait en vie.
Il ferma la porte derrière lui.
« J’espère que je ne vous dérange pas. »
Comme si quelque chose pouvait encore déranger cette femme ! Il déposa son chapeau sur une chaise.
« Alors, tout s’est bien arrangé ?
– Oui. Il n’y avait pas grand-chose à faire.
– Pas de complications ?
– Aucune. »
Ravic s’assit dans l’unique fauteuil de la pièce. Les ressorts geignaient et l’un d’eux était brisé.
« Vous alliez sortir ? demanda-t-il.
– Oui. Plus tard. Oh ! sans but, rien que pour sortir. C’est tout ce qu’il y a à faire.
– Évidemment, pendant quelques jours encore. Ne connaissez-vous personne à Paris ?
–
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