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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E.M. Remarque
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elle se mit à arpenter la pièce de long en large, les mains enfoncées dans les poches de sa jaquette. Ravic la considéra attentivement. Son corps était souple ; elle avait la force et la grâce farouche d’un jeune chat, et soudain, la pièce paraissait beaucoup trop petite pour elle.
    On frappa. C’était le garçon avec le cognac.
    « Monsieur et Madame désirent-ils autre chose ? Du poulet froid, des sandwiches ?
    –  Ce serait une perte de temps, mon ami », dit Ravic en payant l’addition.
    Puis il remplit deux verres.
    « Voilà. C’est à la fois simple et barbare. Mais la barbarie est indiquée dans les moments difficiles. Le raffinement c’est pour les périodes calmes. Buvez d’abord ceci.
    –  Et après ?
    –  Après ? Vous en boirez un autre.
    –  Je sais. J’ai déjà essayé ça. Ça n’a servi à rien. Il est mauvais de s’enivrer quand on est seul. Tout devient plus aigu.
    –  Il ne s’agit que d’être suffisamment ivre. »
    Ravic s’assit sur la chaise longue étroite et branlante qui se trouvait en face du lit. Il ne l’avait pas remarquée la première fois. Elle s’en aperçut.
    « C’est moi qui l’ai fait mettre là. Je ne voulais pas dormir dans le lit. Ça me semblait tellement inutile, me dévêtir et me coucher. Pourquoi ? Le jour, j’ai du courage, mais la nuit…
    –  Il vous faut trouver une occupation. C’est dommage que nous ayons manqué Morosow au Schéhérazade. J’ignorais que ce fût son jour de congé. Allez-y sans faute demain soir. Vers neuf heures. J’ai la conviction qu’il vous trouvera quelque chose. Du travail à la cuisine, au besoin. Au moins ça vous occuperait. C’est-ce que vous voulez, n’est-ce pas ?
    –  Oui. »
    Jeanne cessa de marcher de long en large. Elle vida son verre et s’assit sur le lit.
    « Je me suis promenée dehors, tous les soirs. Quand on marche, tout semble plus facile. Ce n’est que quand on s’assied que le plafond vous tombe sur la tête…
    –  Il ne vous est jamais rien arrivé dans la rue ?
    –  Non, je crois que je ne paie pas assez de mine. »
    Elle tendit son verre vide :
    « Souvent, j’ai espéré rencontrer quelqu’un. Quelqu’un à qui parler, au moins ! Cesser d’être un automate qui se promène sans but. Cesser, un instant, de regarder des pierres et regarder des yeux. Ne plus errer comme un paria ! Comme si j’étais une planète étrangère ! »
    Elle rejeta ses cheveux en arrière et prit le verre que lui tendit Ravic.
    « Je me demande pourquoi je parle de tout cela, dit-elle. Peut-être parce que j’ai gardé le silence pendant tous ces jours. Peut-être parce que aujourd’hui, pour la première fois… »
    Elle s’interrompit :
    « Ne m’écoutez pas.
    –  Je bois, dit Ravic. Dites tout ce qui vous passe par la tête. C’est la nuit. Personne ne vous entend. Demain, tout sera oublié. »
    Il s’appuya en arrière. Quelque part dans la maison, il entendit le bruit d’un robinet ; puis celui du calorifère ; et le rythme monotone et doux de la pluie sur les vitres.
    « Ensuite on rentre, poursuivit-elle, on éteint la lumière ; l’obscurité vous étouffe, comme un tampon imbibé de chloroforme. Alors on rallume la lumière et l’on regarde fixement dans la nuit… »
    « Je dois être déjà ivre, pensa Ravic, plus vite que les autres jours. Je ne vois plus la femme insignifiante et fade. Je vois quelqu’un d’autre. Quelqu’un qui possède des yeux. Un visage. Quelqu’un qui me regarde. C’est sûrement un jeu d’ombres. Une douce flamme derrière mon front qui l’éclairé. C’est la première lueur de l’ivresse. »
    Il n’écoutait plus Jeanne. Son histoire, il la connaissait. Il ne voulait plus l’entendre. La solitude… l’éternel refrain de l’existence. Ça n’était ni mieux ni pire qu’autre chose. On en parlait trop. On était toujours seul et jamais seul. Un violon qui pleurait tout à coup au crépuscule dans un jardin, sur les collines qui entourent Budapest. L’odeur lourde des marronniers. Le vent. Et les rêves, perchés comme des chouettes sur nos épaules, leurs yeux brillant dans la nuit, la nuit qui ne devenait jamais complètement la nuit. L’heure où toutes les femmes devenaient belles. Il releva la tête.
    « Merci, lui dit Jeanne Madou.
    –  Pourquoi me remercier ?
    –  Pour m’avoir laissée parler sans m’écouter ! J’en avais besoin. »
    Ravic vit que son verre était

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