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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E.M. Remarque
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propreté douteuse. Elle était monstrueuse, mais son visage était lisse et joli, à l’exception des yeux fuyants et cauteleux.
    « Monsieur ? » fit-elle avec politesse, et en restant debout.
    Ravic se leva.
    « Je viens de la part de Lucienne Martinet. Vous avez pratiqué sur elle un avortement.
    –  Que me chantez-vous là ! répliqua-t-elle immédiatement, avec le plus grand calme. Je ne connais aucune Lucienne Martinet et je ne fais pas d’avortement. Ou bien vous vous trompez ou alors on vous a menti. »
    Cela dit, elle fit mine de s’en aller. Mais elle resta. Ravic attendit. Elle se retourna.
    « Y a-t-il autre chose ?
    –  Oui. L’avortement a été raté. La fille a eu des hémorragies très graves et elle a failli mourir. Elle a dû être opérée. C’est moi qui ai fait l’opération.
    –  C’est un mensonge ! dit-elle les dents serrées. Un mensonge ! Ces gueuses ! Elles essaient de se débarrasser elles-mêmes des conséquences de leur faute, et si elles échouent elles cherchent ensuite à causer des ennuis aux honnêtes gens ! Mais je lui apprendrai, moi ! C’est mon avocat qui s’occupera d’elle. Je suis connue et je paie mes impôts ! On verra bien si cette petite garce qui traîne à droite et à gauche… »
    Ravic l’étudiait, fasciné. L’expression placide n’avait pas changé. Le visage était demeuré doux et joli. Les lèvres étaient pincées et elle crachait les mots comme une mitrailleuse. Il l’interrompit :
    « La petite ne veut pas grand-chose. Elle veut tout simplement ravoir son argent. »
    M me  Boucher se mit à rire.
    « Que je rende ? Que je rende quoi ? Quand ai-je reçu de l’argent de cette garce ? A-t-elle un reçu ?
    –  Sûrement pas. Vous n’iriez pas jusqu’à donner des reçus.
    –  Je vous répète que je ne l’ai jamais vue. Du reste personne ne la croirait.
    –  Si, elle a des témoins. Elle a été opérée à la clinique du docteur Veber. Le diagnostic était clair. Il y a même un rapport.
    –  Et quand il y en aurait mille ! Qu’est-ce qui prouve que je l’ai touchée ? La clinique du docteur Veber. Ça alors, c’est le comble ! Une gueuse comme elle dans une clinique de grand luxe ! Non vraiment, c’est tout ce que vous avez à me dire ?
    –  Non, ce n’est pas tout. Cette fille vous a donné trois cents francs. Elle peut intenter des poursuites. »
    La porte s’ouvrit, l’individu à l’air louche entra.
    « Quelque chose ne va pas, Adèle ?
    –  Non. M’intenter des poursuites ! Mais si elle va en justice, c’est elle qui sera condamnée. C’est-certain, du moment où elle admet qu’elle s’est fait avorter. Il lui restera encore à prouver que j’ai trempé dans cette affaire. Elle ne le pourra jamais. »
    L’individu louche fit un son comme s’il allait dire quelque chose.
    « Ça va, Roger, tu peux nous laisser.
    –  Brunier est là.
    –  Bien. Dis-lui qu’il attende. Tu sais… »
    L’homme fit signe qu’il savait et sortit, laissant derrière lui un fort relent de cognac. Ravic renifla.
    « Du vieux cognac, dit-il. Au moins trente ou quarante ans. Heureux homme qui boit un nectar pareil au milieu de l’après-midi. »
    M me  Boucher le regarda un moment, complètement épatée et fit un mouvement des lèvres.
    « Vous avez dit juste. En voulez-vous ?
    –  Pourquoi pas ? »
    Malgré son embonpoint, elle gagna la porte avec agilité.
    « Roger ! »
    L’homme à l’air sinistre rentra.
    « Tu as de nouveau bu le bon cognac ? Ne mens pas. On le sent ! Apporte la bouteille. Ne réplique pas. Apporte la bouteille. »
    Roger revint avec la bouteille.
    « J’en ai donné à Brunier. Il m’a forcé à boire avec lui. »
    M me  Boucher ne répondit pas. Elle ferma la porte. D’une armoire de noyer elle sortit un verre à pied. Ravic le regarda avec un certain dégoût. Une tête de femme était gravée dessus. M me  Boucher emplit le verre et le posa devant lui, sur la nappe brodée de paons.
    « Vous me paraissez être un type raisonnable », dit-elle.
    Ravic ne pouvait s’empêcher d’éprouver un certain respect pour cette femme. Elle n’était pas de fer, comme avait dit Lucienne : c’était pire, elle était de caoutchouc. On peut briser du fer mais pas du caoutchouc. Son raisonnement au sujet de la possibilité d’une poursuite en justice était inattaquable.
    « Votre opération a échoué, dit-il. Les conséquences sont

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