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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E.M. Remarque
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sérieuses. Il me semble que cela devrait suffire pour que vous rendiez l’argent.
    –  Rendez-vous l’argent lorsqu’un de vos pa tients meurt après une opération ?
    –  Non. Mais parfois, nous n’acceptons pas d’argent pour une opération. C’est le cas de Lucienne Martinet, par exemple. »
    M me  Boucher l’observa.
    « Alors de quoi se plaint-elle ? Elle devrait s’estimer heureuse.
    –  Madame, dit Ravic en levant le verre, mes respects. Vous êtes imbattable. »
    Elle posa lentement la bouteille sur la table.
    « Ce n’est pas la première fois qu’on essaie ce système. Mais vous me paraissez plus raisonnable. Croyez-vous-que le travail soit drôle ? Croyez-vous que tout l’argent soit pour moi ? Et je paie, je paie toujours ; impossible de faire autrement. Je vous dis cela parce que nous sommes ici, seuls, entre nous. Mais si vous cherchiez à me faire des ennuis, je nierais tout. Vous pouvez me croire.
    –  Je vous crois, madame. »
    M me  Boucher lui lança un regard rapide. Constatant que son expression n’avait rien d’ironique, elle approcha une chaise et s’assit. Elle souleva la chaise comme s’il se fût agi d’une plume ; sous sa graisse, elle était musclée. Elle emplit de nouveau le verre de Ravic, du cognac réservé à la corruption.
    « Trois cents francs, j’admets que c’est cher. Mais il y a le loyer – et naturellement on me prend plus cher qu’à un autre – le blanchissage, les instruments – deux fois plus chers pour moi que pour un médecin – et puis les commissions, les pots-de-vin… je dois être en bons termes avec tout le monde. Il faut que j’offre à boire, que je donne des cadeaux au Jour de l’an. C’est quelque chose, tout cela ! Souvent il ne me reste presque rien.
    –  Il n’est pas question de cela.
    –  Alors de quoi ?
    –  De ce qui est arrivé à Lucienne.
    –  Ça n’arrive donc jamais avec les médecins ?
    –  Bien moins souvent.
    –  Monsieur, dit-elle en se redressant, je suis honnête. Je dis à toutes les filles qui viennent ici que les conséquences peuvent être sérieuses. Elles restent toutes quand même. Elles me supplient de les opérer. Elles pleurent et elles se désespèrent. Elles se suicideraient si je leur refusais. Vous devriez voir certaines scènes qui se sont déroulées ici ! Vous voyez cette armoire dont le plaquage est abîmé ? C’est une femme de la haute qui a fait ça, dans son désespoir. Je me suis occupée d’elle. Et maintenant voulez-vous que je vous montre quelque chose ? Dans ma cuisine, j’ai dix livres de confitures d’abricot qu’elle m’a envoyées hier. Par gratitude ! Laissez-moi vous dire une chose, dit-elle en enflant la voix, vous pouvez m’appeler une avorteuse, si vous le voulez, mais d’autres m’appellent leur ange bienfaiteur. »
    Elle s’était levée. Son kimono flottait majestueusement autour d’elle. Comme s’il eût obéi à un commandement muet, le canari se mit à chanter dans sa cage. Ravic se leva. Il avait l’impression d’être au Grand Guignol. Cependant, il savait que M me  Boucher n’exagérait rien.
    « Bien, dit-il. Je m’en vais. Pour Lucienne, vous n’avez pas été exactement une bienfaitrice.
    –  Vous auriez dû la voir avant ! Que veut-elle de plus ? Elle se remet… elle est débarrassée de l’enfant… c’est tout ce qu’elle demandait. Et elle n’a rien à payer pour la clinique.
    –  Elle ne pourra plus jamais avoir d’enfants.
    –  Tant mieux, dit-elle sans émotion. Elle sera sûrement enchantée, la petite garce ! »
    Ravic comprenait qu’il n’y avait rien à faire.
    « Au revoir, madame, dit-il. Il a été intéressant de faire votre connaissance. »
    Elle s’approcha de lui. Il crut qu’il allait être forcé de lui serrer la main. Mais telle n’était pas son intention. Elle lui dit d’une voix confidentielle :
    « Vous êtes raisonnable, monsieur. Plus que la plupart des médecins. C’est dommage que vous… » Elle hésita et le regarda d’un air encourageant. « Des fois, pour des cas tout à fait spéciaux… un chirurgien capable de comprendre les choses pourrait être fort utile… »
    Ravic ne réagit pas. Il voulait en entendre davantage.
    « Vous ne vous feriez aucun tort, reprit-elle. Seulement les cas très spéciaux. » Elle le guettait comme un chat qui guette les oiseaux. « Il y a parfois des clientes riches. On est toujours payé d’avance,

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