L'arc de triomphe
contente ? »
Elle se blottit contre son épaule.
« Je ne sais pas ce que ça me fait. Je ne puis le supporter, c’est comme si une main sortait de l’ombre pour me saisir… c’est de la crainte… une crainte aveugle… comme si un danger m’attendait quelque part. » Elle se serra plus près de lui. « Que cela n’arrive pas ! »
Ravic la serra dans ses bras :
« Non, cela n’arrivera pas. »
Elle hocha la tête.
« Tu peux éviter que cela arrive.
– Oui, dit-il avec une voix pleine de tristesse et d’amertume en songeant à Kate Hegstrœm, oui, je le puis… en effet, je le puis… »
Elle remua dans ses bras.
« Je suis venue hier… »
Ravic ne broncha pas.
« Tu es venue ?
– Oui. »
Il demeura silencieux. Quelque chose venait de se briser. Comme il avait été enfant ! Attendre ou ne pas attendre… et dans quel dessein ? À quoi bon vouloir jouer un jeu stupide avec quelqu’un qui ne songeait pas à jouer…
« Tu n’étais pas ici…
– Non. »
Elle se dégagea.
« J’aimerais prendre un bain, dit-elle d’une voix changée. Il neige. J’ai froid. Crois-tu que je puisse le faire sans éveiller tout l’hôtel ? »
Ravic sourit.
« Ne t’informe jamais des conséquences de ce que tu veux faire, sinon tu ne le feras jamais. »
Elle le regarda :
« Il faut s’informer pour les choses insignifiantes… jamais pour les grandes.
– C’est juste. »
Elle alla dans la salle de bain et ouvrit le robinet. Ravic s’assit près de la fenêtre et étendit la main vers un paquet de cigarettes. Dehors, pardessus les toits, on apercevait le halo rougeâtre de la ville. Il vit la neige tomber lentement. Un taxi passa dans la rue. Sur le plancher, les chrysanthèmes mettaient une tache pâle. Un journal gisait sur le canapé. Il l’avait apporté le soir. On se bat à la frontière tchécoslovaque. On se bat en Chine. Un ultimatum. Un gouvernement renversé. Il prit le journal et l’enfouit sous les chrysanthèmes.
Jeanne sortit de la salle de bain. Sa peau était moite et chaude. Elle s’agenouilla tout contre lui, au milieu des fleurs.
« Où étais-tu hier soir ? » demanda-t-elle.
Il lui tendit une cigarette.
« Tu veux vraiment le savoir ?
– Oui. »
Il hésita un moment, puis :
« J’étais ici. Je t’ai attendue. J’ai cru que tu ne viendrais pas, et je suis parti. »
Elle ne répondit rien. Sa cigarette s’avivait et pâlissait tour à tour dans l’obscurité.
« C’est tout, dit-il.
– Tu es allé boire ?
– Oui. »
Jeanne le regarda droit dans les yeux.
« Ravic, tu es vraiment parti pour cela ?
– Oui. »
Elle lui mit ses bras sur les genoux. À travers l’étoffe de la robe de chambre, il sentit sa chaleur. Une chaleur qui lui paraissait aussi familière que celle de la laine ; c’était comme si Jeanne était revenue d’une époque de sa vie, dans laquelle elle aurait déjà joué un rôle.
« J’étais venue tous les soirs. Tu aurais dû savoir que je viendrais hier soir. Ce n’est pas pour éviter de me voir que tu es sorti ?
– Non.
– Quand tu ne veux pas me voir, il faut me le dire.
– Je te le dirai.
– Et ce n’était pas pour une autre raison ?
– Non. Ce n’était pas pour une autre raison.
– Alors, je suis heureuse.
– Qu’as-tu dit ?
– Je suis heureuse, répéta-t-elle.
– Tu es vraiment consciente de ce que tu dis !
– Bien sûr. »
La pâle clarté du dehors se reflétait dans ses yeux.
« Il ne faut pas dire des choses comme celles-là à la légère, Jeanne.
– Je ne les dis pas à la légère.
– Le bonheur, où commence-t-il et où finit-il ? » Son pied toucha les chrysanthèmes. Le bonheur… les horizons bleus du jeune âge. Les rêves dorés de l’existence. Le bonheur ! Où se trouvait-il maintenant ?
« Il commence et il finit avec toi, dit-elle. C’est très simple. »
Il ne répondit pas. « Sait-elle seulement de quoi elle parle ? » se demandait-il. Puis tout haut :
« Dans un instant, tu vas me dire que tu m’aimes, je suppose ?
– -Je t’aime…
– Mais tu ne me connais même pas, Jeanne.
– Qu’est-ce que ça peut faire ?
– Beaucoup. L’amour, c’est vouloir vieillir auprès de quelqu’un.
– Je ne pense pas à cela. L’amour, c’est quelqu’un sans qui on ne peut pas vivre. C’est tout ce que je sais.
– Où est le calvados ?
Weitere Kostenlose Bücher