L'archer démoniaque
comme dit le poète : « Qu’est l’amour s’il n’est payé de retour ? »
Ranulf se couvrit le visage de ses mains.
— Elle ne sait pas, chuchota-t-il. Elle ne peut pas dire, elle ne dira rien.
Il tapa du pied.
— Elle a l’intention d’entrer au couvent, dans un monastère près de Malmesbury, et elle ne changera pas d’avis. Je lui ai demandé pourquoi. Elle a répondu qu’elle avait besoin de paix et de temps pour réfléchir et méditer.
Il leva des yeux pleins de larmes.
— Mais je sais qu’une fois entrée, elle n’en ressortira jamais. Et que quand elle sera partie, je l’aurai perdue pour toujours. Je ne croyais pas que cela se passerait ainsi, Messire. Embrasser les jouvencelles et les taquiner, oui ! Mais ce vide...
Il se leva et se dirigea vers la porte.
— Je serai sur le chemin.
Ranulf ne se retourna pas.
— Vous avez presque découvert le tueur, n’est-ce pas ? Je le lis dans vos yeux.
— Oui, presque.
— Avez-vous une preuve ?
— Non, Ranulf, point encore. C’est un mélange de logique et de ruse. Je veux revoir le livre d’heures de Fitzalan.
Il s’interrompit.
— Ranulf, là où je vais t’emmener, avec Baldock, jure-moi qu’il n’y aura pas de violence.
— Je vous le promets, maître. Pas de violence.
Ranulf ferma la porte. Corbett soupira et retourna à son parchemin. Il revit la liste des victimes. Ce qu’il avait appris. « Quel est le point commun ? se demanda-t-il. Quel est l’élément unique qui répond à toutes les questions ? »
Il griffonna un nom, puis, reposant sa plume, se remémora tout ce qui s’était passé en se mettant dans la peau d’un assassin, observant la sombre silhouette qui glissait entre les arbres et infligeait la mort sans pitié ni remords. Tuant et tuant encore, mais pourquoi ? Il se leva et boucla son ceinturon.
— Il vaut mieux le faire à présent, dit-il à voix haute dans la pièce vide. Si Craon retourne à Eltham, je dois être là-bas quand il rencontrera le roi.
Le magistrat prit sa chape, descendit l’escalier et pénétra dans la cour des écuries en appelant Baldock. Ils sortirent le cheval de Ranulf et trouvèrent ce dernier assis sur une bûche tombée dans le chemin.
— L’heure est venue, n’est-ce pas ?
— Oui, Ranulf, l’heure est venue.
Quand il parvint au prieuré de St Hawisia, Corbett n’était nullement d’humeur à écouter jérémiades et commentaires acerbes de soeur Veronica.
— Je veux voir la prieure ! ordonna-t-il.
Il lui jeta le mandat royal au visage.
— Et je la veux voir sur-le-champ, seule, dans l’église du prieuré ! Elle saura où me retrouver.
La petite nonne déguerpit, affolée à présent par le visage menaçant du clerc et par ses assistants. Corbett suivit le sentier qui traversait la roseraie et entra dans l’église par la porte latérale. Le bâtiment était silencieux et calme ; il régnait encore dans l’air, après l’office de la mi-journée, un parfum d’encens et de cierges de cire vierge.
— Ranulf ! Baldock ! Restez en arrière ! s’exclama Corbett en agrippant le bras de Ranulf. Promettez-moi que vous n’interviendrez pas !
Quand le magistrat tira l’épée et le poignard de son serviteur de leur fourreau, ce dernier ne broncha pas et Corbett se dirigea vers la chapelle latérale. Il déposa les armes sur le grand cercueil de chêne et fixa, à travers le verre coloré et cerclé d’argent, la belle chevelure dorée répandue en torsades sur un oreiller de soie.
— Blasphème et sacrilège ! murmura-t-il.
À l’autre bout la porte s’ouvrit, mais Corbett ne leva pas les yeux jusqu’à ce que Lady Madeleine s’approchât.
— Vous êtes venu vénérer notre relique, Sir Hugh ? dit-elle d’une voix douce.
Corbett la regarda.
— Pourquoi le ferais-je, Lady Madeleine ? Pourquoi vénérerais-je les cheveux d’une catin de la ville de Rye ?
La prieure s’agrippa plus fermement à la châsse en titubant un peu. Corbett l’attrapa par le coude et la conduisit vers un petit rebord de pierre qui courait le long du mur.
— Que dites-vous, Sir Hugh ?
Lady Madeleine avait blêmi et ses yeux étaient aux aguets.
— Quelle absurdité est-ce là ?
— Lady Madeleine Fitzalan, répondit le magistrat, fille d’une famille noble, demi-soeur de Lord Henry et de Sir William. Une femme élevée selon la tradition de la noblesse, cavalière, chasseresse et archer accompli. Dans
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