L'archipel des hérétiques
soldats de lui livrer tous les marins de l'île
: « Remettez entre nos mains Lucas, le second du maître d'hôtel, Cornelis le
gros trompette, Cornelis l'assistant, Jan Michielsz le sourd, Ariaen le
canonnier, Hendrick le bigleux, Theunis Claasz, Cornelis Helmigs et les autres
marins qui sont avec Vos Honneurs 17 .
» S'ils acceptaient, en outre, de ramener la yole - celle qu'Ans Jansz avait
utilisée pour s'échapper du Cimetière du Batavia quelques jours
auparavant, il leur promettait que les soldats et les mutins redeviendraient «
de véritables frères, et les meilleurs amis du monde ».
On chercherait vainement dans cette insidieuse missive une
trace de mauvaise conscience ou de doute, de la part de Cornelisz, concernant
sa propre conduite. À ses yeux, chacun de ses actes était non seulement
justifié, mais couvert par la Loi. Il s'adresse aux soldats en sa qualité de
président du conseil du Batavia, sans douter une seconde d'être obéi. Il
précise, en outre, que les réfugiés qui ont échappé à la mort en fuyant vers
l'île de Hayes sont des malfaiteurs, passibles de la peine capitale pour fait
de mutinerie, et se permet de souligner « la confiance et l'affection toute
particulière » qu'il porte à Hayes lui-même - ce qui dénote une capacité
d'autopersuasion et d'aveuglement encore plus grande que celle dont il avait
fait preuve en s'imagi-nant qu'il parviendrait à conquérir le cœur de Creesje
Jansz.
Cette lettre procède de son absolue certitude d'être le
chef légitime, et légitimement ordonné, de tous les survivants du Batavia - et de sa conviction de n'avoir rien fait qui ne lui fût inspiré par Dieu.
Il confia à Daniel Cornelissen, un jeune cadet qui avait
aidé à noyer quelques-unes des premières victimes de la mutinerie, le soin de
porter cette lettre. Le 23 juillet, le jeune homme fut débarqué sur l'île de
Hayes où il parvint, on ne sait trop comment, à entrer en contact avec les
soldats français qui étaient les destinataires du message (sans doute parce
qu'ils étaient plus susceptibles que leurs camarades hollandais de prêter une
oreille complaisante aux propositions de Cornelisz). Mais les Français
eux-mêmes ne se laissèrent pas abuser par les protestations de sincérité des
mutins et, loin de recevoir Cornelissen avec les égards dus à un ambassadeur,
ils s'emparèrent de lui et le firent prisonnier 39 . Le cadet fut
amené les poings liés devant Hayes, qui confisqua la lettre, et le fit mettre
aux fers.
Devant l'échec de ses menées diplomatiques, Jeronimus
décida de recourir à la force 40 . Deux ou trois jours après la
capture de Daniel Cornelissen, Zevanck et Van Huyssen réunirent une vingtaine
d'hommes et tentèrent de soumettre Wiebbe Hayes manu militari. Mais
comme Hayes l'avait prévu, leurs embarcations furent repérées de très loin,
alors qu'ils étaient au large et qu'il leur restait à traverser à pied
plusieurs centaines de mètres de hauts-fonds, où ils devraient patauger dans la
vase et les algues, avant d'atteindre le rivage. Et là, les Défenseurs les
attendaient, armés de leurs piques, et de leurs masses d'armes. Il y eut une
brève empoignade sur la plage. Nous n'en avons conservé aucune trace écrite, et
nul ne sait au juste ce qui s'est passé. Ce qui est sûr, c'est que ce premier
raid des mutins se solda par un échec. Sans doute Zevanck et Van Huyssen
furent-ils désagréablement surpris de se heurter à des adversaires robustes,
armés et organisés. Les mutins bâtirent en retraite et regagnèrent leur île,
avant qu'aucun des deux camps n'ait pu infliger à l'autre de blessures
sérieuses. Surpris par ceux qu'ils croyaient surprendre, ils durent ressentir
cruellement le besoin d'élaborer une autre stratégie, à partir d'idées
nouvelles. Malheureusement pour eux, ils ne trouvèrent rien de tel.
Le 5 août, Zevanck et Van Huyssen retournèrent à l'île de
Hayes, flanqués de toute leur bande - mais leur tactique n'avait guère évolué.
Là encore, ils arrivèrent en pataugeant dans la vase et le goémon et, là
encore, les Défenseurs les attendaient de pied ferme. Les hommes de Hayes
vinrent à leur rencontre dans les hauts-fonds, à un endroit où ils avaient « de
l'eau jusqu'aux genoux », et les empêchèrent d'atteindre la plage. Les mutins
n'insistèrent pas plus que la semaine précédente. Il n'y eut aucune victime des
deux côtés, et le deuxième assaut contre l'île de Hayes fut un flop
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