L'art de la Guerre (Les Treize Articles)
dispersion. 2° Des
lieux légers. 3° Des lieux qui peuvent être disputés. 4° Des lieux
de réunion. 5° Des lieux pleins et unis. 6° Des lieux à plusieurs
issues. 7° Des lieux graves et importants. 8° Des lieux gâtés ou
détruits. 9° Des lieux de mort.
I. J'appelle lieux de
division ou de
dispersion
ceux qui sont près des frontières dans nos
possessions. Des troupes qui se tiendraient longtemps sans
nécessité au voisinage de leurs foyers sont composées d'hommes qui
ont plus envie de perpétuer leur race que de s'exposer à la mort. À
la première nouvelle qui se répandra de l'approche des ennemis, ou
de quelque prochaine bataille, le général ne saura quel parti
prendre, ni à quoi se déterminer, quand il verra ce grand appareil
militaire se dissiper et s'évanouir comme un nuage poussé par les
vents.
II. J'appelle
lieux légers
ou de
légèreté ceux qui sont près des frontières, mais pénètrent par une
brèche sur les terres des ennemis. Ces sortes de lieux n'ont rien
qui puisse fixer. On peut regarder sans cesse derrière soi, et le
retour étant trop aisé, il fait naître le désir de l'entreprendre à
la première occasion : l'inconstance et le caprice trouvent
infailliblement de quoi se contenter.
III. Les lieux qui sont à la bienséance des
deux armées, où l'ennemi peut trouver son avantage aussi bien que
nous pouvons trouver le nôtre, où l'on peut faire un campement dont
la position, indépendamment de son utilité propre, peut nuire au
parti opposé, et traverser quelques-unes de ses vues ; ces
sortes de lieux peuvent être
disputés,
ils doivent même
l'être. Ce sont là des terrains clés.
IV. Par les
lieux de réunion,
j'entends ceux où nous ne pouvons guère manquer de nous rendre et
dans lesquels l'ennemi ne saurait presque manquer de se rendre
aussi, ceux encore où l'ennemi, aussi à portée de ses frontières
que vous l'êtes des vôtres, trouverait, ainsi que vous, sa sûreté
en cas de malheur, ou les occasions de suivre sa bonne fortune,
s'il avait d'abord du succès. Ce sont là des lieux qui permettent
d'entrer en communication avec l'armée ennemie, ainsi que les zones
de repli.
V. Les lieux que j'appelle simplement
pleins et unis
sont ceux qui, par leur configuration et
leurs dimensions, permettent leur utilisation par les deux armées,
mais, parce qu'ils sont au plus profond du territoire ennemi, ne
doivent pas vous inciter à livrer bataille, à moins que la
nécessité ne vous y contraigne, ou que vous n'y soyez forcé par
l'ennemi, qui ne vous laisserait aucun moyen de pouvoir
l'éviter.
VI. Les lieux à
plusieurs issues,
dont je veux parler ici, sont ceux en particulier qui permettent la
jonction entre les différents États qui les entourent. Ces lieux
forment le nœud des différents secours que peuvent apporter les
princes voisins à celle des deux parties qu'il leur plaira de
favoriser.
VII. Les lieux que je nomme
graves et
importants
sont ceux qui, placés dans les États ennemis,
présentent de tous côtés des villes, des forteresses, des
montagnes, des défilés, des eaux, des ponts à passer, des campagnes
arides à traverser, ou telle autre chose de cette nature.
VIII. Les lieux où tout serait à l'étroit, où
une partie de l'armée ne serait pas à portée de voir l'autre ni de
la secourir, où il y aurait des lacs, des marais, des torrents ou
quelque mauvaise rivière, où l'on ne saurait marcher qu'avec de
grandes fatigues et beaucoup d'embarras, où l'on ne pourrait aller
que par pelotons, sont ceux que j'appelle
gâtés ou
détruits.
IX. Enfin, par des
lieux de mort,
j'entends tous ceux où l'on se trouve tellement réduit que, quelque
parti que l'on prenne, on est toujours en danger ; j'entends
des lieux dans lesquels, si l'on combat, on court évidemment le
risque d'être battu, dans lesquels, si l'on reste tranquille, on se
voit sur le point de périr de faim, de misère ou de maladie ;
des lieux, en un mot, où l'on ne saurait rester et où l'on ne peut
survivre que très difficilement en combattant avec le courage du
désespoir.
Telles sont les neuf sortes de terrain dont
j'avais à vous parler ; apprenez à les connaître, pour vous en
défier ou pour en tirer parti.
Lorsque vous ne serez encore que dans des
lieux de division,
contenez bien vos troupes ; mais
surtout ne livrez jamais de bataille, quelque favorables que les
circonstances puissent vous paraître. La vue de leur pays et la
facilité du retour
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