L'Art Médiéval
décourageante, que parce que
le seul effort exigé d’eux par le prophète était un effort
extérieur, répondant à leurs besoins essentiels de vie nomade et
conquérante, et que le repos leur était promis dans la mort même où
ils se précipitaient au galop de charge, laissant aux peuples
vaincus le soin de travailler pour eux. Les Chinois n’y échappent
encore que par leur absence d’idéalisme et leur esprit positif dont
l’énergie s’emploie précisément à entraver et ralentir l’action.
Mais les peuples généralisateurs de l’Occident, les peuples
sensuels de l’Inde ne pouvaient en sortir qu’à la condition de
profiter du repos même que leur imposaient ces doctrines pour
replonger dans leurs sols les racines de leur instinct et réagir
alors de toute leur puissance rajeunie contre l’esprit de
renoncement où les disciples de Çakia-mouni et de Jésus avaient
entraîné les foules intéressées à les entendre, en leur cachant le
vrai visage des deux hommes qui furent tout amour et par suite
toute action.
Maintenant que les religions éthiques
appartiennent à l’histoire, maintenant que nous avons appris que le
besoin moral perd sa puissance quand il prétend annihiler ou
diminuer le besoin esthétique dont il n’est qu’un aspect, nous
sommes assez forts pour reconnaître que le christianisme et le
bouddhisme introduisirent dans le monde un admirable élément de
passion. Aux Indes, à vrai dire, le bouddhisme n’avait jamais pris,
vis-à-vis du brahmanisme, le caractère de radicale opposition que
le christianisme adopta vis-à-vis des religions païennes. Il
n’était pas l’esprit d’un sol et d’une race allant au-devant de
l’esprit d’un autre sol et d’une autre race pour lui offrir le
combat. Il était né du courant même qui poussait les peuples de
l’Inde à mêler leur âme aux voix universelles, à demander aux voix
universelles de pénétrer incessamment leur âme, il était une
extension dans le monde moral du formidable sensualisme qui ne
pouvait se refuser d’entendre l’appel des hommes quand il
confondait leur esprit avec l’esprit des fauves, des forêts, des
eaux et des pierres. En Occident, au contraire, l’invasion de l’âme
humaine par la force de la nature ne pouvait prendre, au sein du
christianisme organisé en système politique, qu’une allure
insurrectionnelle. Et c’est par là que l’âme chrétienne a imprimé
une trace profonde dans la forme de notre esprit.
En enseignant la haine de la vie, le
christianisme multiplia notre puissance à la vivre quand les
fatalités de l’évolution économique et politique des sociétés
occidentales les conduisirent à prendre contact avec la vie pour
adapter leurs organes à des fonctions nouvelles et assurer à leurs
besoins de nouvelles satisfactions. Nos sens avaient gardé mille
ans le silence, mille ans la sève humaine avait été refoulée dans
nos cœurs, l’esprit avait accumulé pendant mille ans, dans une
épouvantable solitude, un monde de désirs confus, d’intuitions
inexprimées, de fièvres mal éteintes qui firent jaillir l’amour de
lui, quand il ne put plus le contenir, avec l’ivresse des bêtes des
bois prisonnières qu’on rend à la liberté. Il n’est pas dans
l’histoire de plus magnifique spectacle que cette humanité se ruant
sur la forme avec une frénésie sainte pour la féconder de
nouveau.
C’est là qu’il faut chercher l’origine des
différences qui nous frappent quand nous considérons dans leur
ensemble les manifestations de l’art antique et celles de l’art
médiéval, surtout dans l’Inde et l’Europe de l’Ouest. Le monde
antique n’avait jamais prohibé l’amour de la forme, il était arrivé
par elle, au contraire, d’un effort progressif, harmonieux, continu
aux généralisations philosophiques formulées par les sculpteurs
d’Athènes vers le milieu du siècle d’Eschyle, de Sophocle et de
Phidias. L’Égypte, retenue par la théocratie en des cadres
métaphysiques dont il était interdit de sortir, avait étudié
l’homme dans sa structure, défini pour toujours la forme de l’ombre
qu’il projettera sur la terre tant que le soleil luira sur lui. La
Grèce, libérée du dogme, avait scruté les relations qui unissent
l’homme à la nature, retrouvé dans les volumes et les gestes des
formes vivantes les lois qui déterminent l’harmonie dans la
révolution des astres, le déroulement des profils terrestres, le
mouvement de
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