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L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford

L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford

Titel: L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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gouttes d’eau, puis adressa un
sourire ravi à Bob avant de se remettre en route vers la réserve.
    « Vous savez qui je suis ? » s’enquit
Bob.
    Elle hocha la tête avec un rien trop d’empressement,
telle une adolescente amoureuse de son professeur.
    « Bob Ford. »
    Il recroisa les jambes et considéra le sol.
    « L’assassin de Jesse James.
    — J’ai déjà vu votre photo. »
    Il la dévisagea avec une mine soupçonneuse.
    « Donc vous avez menti.
    — Pardon ?
    — Vous avez dit que vous vous attendiez à
quelqu’un de vieux et laid, alors que vous saviez à quoi je ressemblais. »
    Elle ne se démonta pas, ne baissa pas les yeux
vers son giron, ne bouda pas, ne feignit pas d’être gênée.
    « C’était simplement pour faire la
conversation, expliqua-t-elle en se montrant particulièrement charmeuse.
    — Qu’y avait-il de vrai dans votre
histoire d’orphelinat des Sœurs de la Charité et d’ingénieur des mines ?
    — Presque rien », avoua-t-elle en
soufflant la fumée de sa cigarette.
    Il la dévisagea d’un air sévère, avec un
sourcil levé qui trahissait combien il la trouvait séduisante.
    « Vous avez un prénom ou en général vous
inventez quelque chose ?
    — Dorothy, répondit-elle.
    — Vous savez vraiment chanter ? »
    Elle se leva et se dirigea avec grâce vers le
piano droit, sur lequel elle plaça sa cigarette dans un cendrier en fer-blanc. Elle
chanta « Only a bird in a gilded cage » – « Rien qu’un oiseau
dans une cage dorée » – et « Home, Sweet Home » – « On n’est
nulle part si bien que chez soi » – et Bob l’embaucha pour un salaire
supérieur aux autres filles.
    Elle fit sensation à Pueblo, avec ses tenues
tape-à-l’œil, ainsi que la désinvolture et la hardiesse avec lesquelles elle
exhibait son corps ; elle poussait la sérénade au coin des rues, sous le
regard des cavaliers qui s’attardaient sur leurs montures, des cochers sur leur
banquette et des jeunes commis qui en oubliaient leur boutique pour la contempler
avec délice et envie ; sur une affiche, au-dessous de son portrait, on
pouvait lire : « Remportez chaque soir de pareils petits lots au
saloon de Bob Ford. » Les nouveaux clients qu’elle rapporta accrurent
grandement les revenus de Bob, mais ses généreuses attentions envers son patron
eussent à elles seules justifié ses appointements. Elle manifestait un profond
intérêt pour la relation si controversée entre Bob et Jesse et écoutait son
employeur avec une curiosité vorace, dans une immobilité parfaite, avec pour
seule expression un air d’intense fascination, buvant chacun de ses mots, telle
une bouche assoiffée.
    Ce fut avec Dorothy Evans que Bob put enfin
parler à cœur ouvert et sans fard, qu’il put enfin aborder des aspects des
faits jusqu’alors inconnus de lui-même. Il évoqua les parties de poker dans la
salle à manger du pavillon de Thomas Howard. Jesse avait pour habitude de jouer
avec sa lèvre inférieure du bout du pouce, puis de taper sur la table de tout
son poing quand il jouait une carte. Il s’était couché une ou deux fois alors
qu’il avait une main gagnante et n’avait jamais vu clair dans les coups de
bluff de Charley. Il se grattait les dents avec le doigt, se rappela Bob, se
mordillait la moustache et avalait chaque soir un verre de cidre additionné de
sulfate de magnésium afin de se purifier le sang. Bob confia à Dorothy qu’il n’avait
plus aucun souvenir du meurtre, ni de tout ce qui avait suivi : il se
souvenait d’avoir levé le revolver que Jesse lui avait offert, puis le Vendredi
saint, d’avoir lu le compte-rendu des funérailles comme s’il se fût agi d’un
événement distant. Il lui raconta qu’il avait conservé des coupures de journaux
jaunies d’avril 1882, qu’il avait étudié d’innombrables fois, avec l’impression
d’avoir été singé, dépossédé de son identité, cruellement diffamé par le Robert
Ford que les journalistes avaient couché sur le papier. Il avait été sidéré, stupéfié,
s’était comporté de manière mécanique, puérile. Il avait honte de son
persiflage, de sa vantardise, de son affectation de bravoure et d’implacabilité ;
il se repentait de son insensibilité, de sa froideur, de son incapacité à
exprimer ce que, bien des années plus tard, il croyait être la vérité : qu’il
regrettait d’avoir tué Jesse, que Jesse lui manquait autant qu’à tout le monde
et qu’il eût

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