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L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford

L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford

Titel: L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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un couloir encaissé
entre deux hautes montagnes, si bien qu’il n’était éclairé par le soleil que
huit heures par jour et que d’avril à juillet la fonte des neiges transformait
l’unique rue principale en caniveau et contraignait bêtes de somme et piétons à
patauger jusqu’à mi-mollet dans un mélange de boue et de crottin. L’altitude
était de deux mille six cent quatre-vingt-dix mètres, aussi était-il rare qu’il
ne fît pas froid (des températures voisines de moins trente n’étaient pas rares
au mois de mars) et pendant de longs mois, la seule eau disponible était celle
obtenue en faisant fondre de la neige au-dessus d’un feu ; par conséquent,
soit par laisser-aller, soit par suite du surmenage, une bonne partie de la
population était d’une saleté répugnante, infestée de poux de corps, et sentait
si mauvais que les hétaïres prodiguaient leurs bons offices avec des mouchoirs
parfumés sur le nez.
    Creede accueillait une humanité des plus
hétéroclites : cow-boys, tricheurs professionnels, commerçants, trimardeurs,
ingénieurs des mines, contremaîtres, spéculateurs en métaux précieux, étrangers
en provenance de toute l’Europe, Mexicains, Indiens Ute, simples ouvriers, voleurs
de bétail, pasteurs itinérants, coupe-jarrets, médecins illégaux, avocats
radiés du barreau et quantité d’autres dont l’argent était la vie. Ils
arrivaient par train au rythme de trois cents par jour, assis à deux par place
dans les voitures ou entassés dans l’allée centrale au point qu’il était
possible de soulever les deux pieds du sol sans tomber. La Denver and Rio
Grande rentabilisa la construction de la ligne jusqu’à Creede en quatre mois
tout juste et les capacités d’hébergement au camp étaient si limitées qu’elle
louait chaque soir des couchettes dans dix voitures pullman parquées sur une
voie de garage. Huit ou neuf hommes pouvaient trouver refuge dans la même
baraque, on logea jusqu’à soixante lits de camp dans la salle à manger d’un
hôtel, les plus pauvres apprenaient à dormir debout, soutenus par des cordes
tendues dans des resserres, et, dans les rues, des estropiés qui avaient perdu
leurs pieds à cause du froid clopinaient avec des béquilles.
    Contre toute probabilité et toute attente, l’homme
qui régnait sur Creede, l’autorité suprême du camp, était le tueur de Jesse
James, Robert Newton Ford. C’était lui qui rendait jugement et établissait les
règles, qui veillait à ce que les criminels fussent châtiés, qui arbitrait les
petits litiges entre marchands, les différends entre les tenanciers de saloon
et leurs clients ; il décidait de maintes questions civiles, approuvait
les plans de construction, nommait shérifs et percepteurs, payait de sa poche
le salaire annuel du juge de paix. S’il n’était pas pour autant apprécié ni
très souvent encensé, on se pliait cependant à ses décisions, car c’était un
homme influent aux convictions tranchées, qu’on n’eût su contrarier sans péril.
Il accordait permissions, dérogations et dispenses ; il en retirait prérogatives,
notoriété, prestige et satisfaction.
    Sa vie était nocturne. Il se levait tard, puis
lisait les journaux du Colorado vêtu d’un élégant kimono de soie pendant que
Dorothy lui apportait des doughnuts, du café et mettait de l’ordre dans
la chambre vert sombre. Ses yeux parcouraient les pages à toute vitesse, sautaient
les listes de demandes de concessions minières et ne s’arrêtaient que sur les
articles décrivant des accidents ou des crimes horribles. Ses cheveux brun roux
coiffés avec art étaient légèrement ondulés, plus longs que lorsqu’il avait
vingt ans et il les oignait de parfums européens. Sa moustache distinguée lui
conférait à la fois de l’allure et quelques années de plus, mais sa juvénilité
n’avait pas entièrement disparu et, quand il se déshabillait devant sa compagne,
son corps mince mais robuste était celui d’un adolescent. Sa garde-robe
anglaise était raffinée, ses chemises blanches amidonnées paraissaient toujours
neuves, des talonnettes d’acteur lui allongeaient les jambes de sorte qu’il
donnait l’impression de mesurer un mètre quatre-vingts ; il portait son
chapeau melon incliné sur la droite et se montrait toujours cordial dans la rue.
    Il se mouvait avec grâce, même dans la neige, et
saluait chacun avec une désinvolture affectée, d’une chiquenaude contre le bord
de son

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