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L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford

L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford

Titel: L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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remisait
l’argent dans la caisse enregistreuse gravée à placage de nickel. Il souhaitait
bonne nuit à Dorothy d’un baiser et renvoyait les danseuses chez elles ou à l’étage,
avant de petit à petit mettre ses clients dehors afin de pouvoir faire le
compte des profits générés au faro, à la « cage à oiseaux », à la
roulette et au stud poker. Les croupiers l’aidaient à balayer le sol ainsi qu’à
essuyer le comptoir et les tables avec des chiffons savonneux, Bob réglait les
serpentins, les bassins et la température de la chaudière de son alambic à
whisky, versait aux deux préparateurs de cocktails leur salaire de la soirée, puis
verrouillait et barrait chaque porte.
    Après quoi, il se versait parfois un grand
verre de bourbon Chapin and Gore et nettoyait son pistolet à la lueur d’une
bougie. Il entendait les filles se livrer à une bataille d’oreillers à l’étage
– l’une d’elles qui descendait discrètement afin de rejoindre un amant – un
gosse qui se glissait dans les cabinets pour passer la nuit à l’abri et au sec.
Bob pointait le Colt sur divers objets dans la pièce en laissant le chien
cliqueter dans le silence de la grande salle. Puis il adressait un mot ou deux
à Jesse et montait se coucher.
    La survenue de Soapy
Smith – « Smith la Savonnette » – à Creede amorça un changement chez
Bob. Jefferson Randolph Smith, charlatan, escroc et aigrefin, né en Géorgie en
1860, avait grandi dans tout le Sud et, après avoir été vacher au Texas, il
était devenu forain dans le Colorado. C’était un beau parleur à la langue bien
pendue affable et jovial doué d’un magnétisme grâce auquel il suscitait une
attention ravie dès qu’il se joignait à un groupe. Il avait pour habitude de
persuader des hommes qui se croyaient malins et subtils de collaborer avec lui
à quelque entreprise illégale, puis de leur faire porter le chapeau et il avait
ainsi embobiné tant de gens qu’il n’était plus en sécurité à Denver et avait
jugé plus sage de migrer vers l’Ouest.
    Il était arrivé à Creede en février 1892 à
bord d’un train de passagers de la Denver and Rio Grande qui s’était ouvert un
passage le long de la voie à l’aide d’un énorme soc qui soulevait des vagues et
des tempêtes de neige. Il avait débarqué avec une bande de seize gardes du
corps, joueurs professionnels et autres hommes de main, puis s’était mis en
devoir de parcourir la ville d’un bout à l’autre en se présentant à chaque
commerçant et chaque arnaqueur, avec un bon mot pour tous ceux qu’il accostait
dans la rue, une bière pour chacun dans tous les saloons où il déboulait, jouant
les chenapans, les fripons et les braves types, se faisant passer pour un homme
riche et oisif, mais à son aise avec les gens du commun.
    Il progressa de telle manière le long d’Amethyst
Street qu’il ne parvint à l’Exchange Club qu’au bout d’une semaine, et il prit
alors place à l’une des tables de jeu afin de pouvoir observer, à l’autre bout
de la salle, le maître des lieux, Bob Ford.
    Il vit un homme nerveux et rieur d’une
trentaine d’années, qui trônait en majesté dans le coin, mangeait du gâteau
avec les doigts, invitait du monde à sa table et servait du cognac à tous les
nouveaux venus. Ses rudes amis siégeaient avec lui, maculant de traces noires
leurs verres avec leurs mains crasseuses, vêtus de chemises à carreaux et de
manteaux d’astrakan, couverts de neige qui fondait et dégouttait sur leurs bras
croisés, perlait dans leurs moustaches et leurs barbes. Bien que l’anniversaire
de Bob remontât à plusieurs semaines, son âge constituait apparemment le thème
de la conversation, car Soapy surprit les mots : « J’avais toujours
pensé que je disparaîtrais plus vite qu’une fusée, mais on dirait que je vais
faire long feu. » Puis Bob enchaîna sur d’autres thèmes, monopolisant la
parole, sans égard pour ce que racontaient les autres, ni même pour ses propres
réponses, déblatérant sans trêve, tel un homme qui eût tenté de purger son
esprit troublé de la moindre trace de langage. Et, constamment, il jetait des
coups d’œil de droite et de gauche, il jetait des coups d’œil aux divers
miroirs, il jetait des coups d’œil à chaque revolver, jusqu’à ce que, pour
finir, il repérât un ennemi parmi les joueurs et se levât pour intercepter l’une
de ses jolies hôtesses :
    « Ne lui apporte rien »,

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