L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
avait sur le
front, un tournevis dans la main gauche.
« Tu es là pour bosser, Bob ?
— Eh bien, j’ai été par monts et par vaux
et…
— Je me disais bien que non », l’interrompit
son frère avant de se replonger dans les entrailles de la machine.
À l’intérieur de la maison, Bob découvrit Wood
sur le canapé, le regard dans le vague, les sourcils froncés. Bob déposa le
paquet contenant ses vêtements sur le lit de Martha, au rez-de-chaussée. Clarence
Hite, Charley et elle étaient assis dans la cuisine autour d’une table ronde en
chêne aussi vaste qu’un étang. Clarence était affalé sur une chaise, en
chaussettes, les pieds sur un panier retourné, et il se rabotait les verrues qu’il
avait sur les mains avec un économe. Du sang dégoulinait jusqu’à ses poignets
autour desquels il avait noué des chiffons. Charley était avachi sur la table, le
menton appuyé sur les pouces, ses yeux caves étaient clos et, les bottes calées
derrière les pieds arrière de sa chaise, il écoutait Martha lui exposer la
personnalité qu’il avait d’après L’Almanach du fermier.
« Salut ! » fit Bob sans
recevoir de réponse.
« “9 juillet, lut Martha. La diligence, le
tact, un grand sens des responsabilités et du détail sont vos traits dominants.
Vous avez une conscience aiguë de vos devoirs. Vous êtes assuré et affrontez
chaque situation avec calme et ingéniosité. Votre foyer a une grande importance
pour vous dans votre vie quotidienne.”
— Salut ! » répéta Bob.
Mais visiblement, snober le dernier-né était
une coutume qui avait toujours cours parmi ses frères et sœurs. Bob se glissa
derrière Martha tandis qu’elle écartait ses longs cheveux roux de ses joues et
il défit sottement le nœud de son tablier à travers les barreaux de la chaise. Martha
renoua les attaches en jetant un regard importuné à son frère cadet, qui lui
répondit avec un sourire large comme une guimbarde.
« Je suis rentré !
— Tu m’en vois fort aise, répliqua Martha
en feuilletant l’almanach.
— Lis ce que ça dit pour Jesse James, intervint
Clarence.
— Vous savez où j’étais ? s’efforça
de les intriguer Bob.
— Lis pour Jesse », insista Clarence.
Bob déboucla son ceinturon et sa cartouchière
et les déposa sur un plan de travail. Il sourit.
« J’ai fait une équipée en territoire
indien.
— Bob, quel jour est né Jesse ? demanda
Martha.
— Le 5 septembre 1847. » Il s’assit
à califourchon sur une chaise et fixa avec des yeux ronds les doigts lacérés de
Clarence Hite et les filets de sang qui s’entrelaçaient sur ses mains. « Qu’est-ce
que tu fous, Clarence ?
— J’excise mes verrues.
— “5 septembre, reprit Martha. Vous êtes
une personne portée aux jugements brusques et hâtifs, aux sautes d’humeur
violentes et aux accès d’enthousiasme. Tempérez vos émotions de calme et de
sang-froid. Vous êtes vif, toujours actif, vous appréciez les plaisirs de la
vie et la société de vos amis.”
— Ce n’est pas du tout Jesse, déclara
Clarence.
— Tiens, j’allais justement dire le
contraire ! s’exclama Charley. C’est presque comme s’il était assis sur
cette chaise à siroter son “tonique de fer” du Docteur Harter.
— Lis pour moi », réclama Bob à sa
sœur.
Ida avait terminé de jouer à la balançoire et
venait de rentrer ; elle s’approcha de la table en chêne avec une pomme
dont la pelure rouge pendouillait en tire-bouchonnant, puis baissa les yeux, consternée.
« Clarence ! Qu’est-ce… »
L’intéressé réexpliqua qu’il excisait ses
verrues et Charley rasséréna sa nièce :
« Ida, Clarence a de l’esprit comme quart.
Il a la nivelle coincée, il ne pense pas droit.
— Lis ce que ça dit pour le 31 janvier 1862 »,
insista Bob. Martha tourna quelques pages sans se soucier de les déchirer.
« Je ne sais pas pourquoi, j’étais persuadée que tu étais du 29 janvier, commenta-t-elle.
— Non, ça, c’est Zerelda Samuels, la mère
de Jesse. 1825. » Toute l’assemblée considéra Bob avec un air étrange. Charley
ricana.
« C’est-y pas quelque chose !
— C’est pas que j’essaye de me souvenir
de ces trucs, argua Bob. Je m’en souviens, c’est tout.
— “31 janvier, commença Martha, pendant
que Bob se penchait en avant, appuyant le dossier de la chaise contre la table.
Vous êtes indulgent et généreux dans votre jugement des autres et
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