L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
fixait avec un bouton, une combinaison pour homme blanche munie de
boutons en bois sur le devant et un costume vert chiné dont la veste avait des
revers tronqués afin de pouvoir la boutonner au plus près du cou, contrairement
à ce qui devint ensuite la mode. Enfin, il se couronna d’un chapeau melon noir
ceint d’un ruban de soie de même couleur, couvre-chef qui eût convenu à
merveille à un mirliflore de boulevard, mais ne seyait guère à Robert Ford.
Le propriétaire du magasin empila ses
emplettes en notant leurs prix sur un journal, puis lécha son crayon et fit le
total.
« Alors, on a touché le gros lot ?
— On pourrait dire ça.
— Ça vous ennuie si je vous demande
comment, jeune comme vous êtes ?
— Je ne vois pas en quoi ça vous concerne. »
Le boutiquier déchira une longue bande de
papier kraft et emballa ses achats à grand bruit.
« Simple curiosité. Peut-être que moi
aussi je pourrais me lancer dans le même métier, histoire de m’acheter assez de
vêtements pour toute l’année en un après-midi.
— Tout ce qu’il faut, c’est une
grand-tante gaga de son neveu.
— Un héritage. Je vois. »
Bob posa son doigt sur la ficelle pour aider
le marchand à faire le nœud.
« Vous vous êtes dit que je m’étais
procuré cet argent par les mêmes moyens que les frères James. Je me trompe ? »
Le propriétaire du magasin se pencha
par-dessus le comptoir et lui fit un clin d’œil.
« N’allez pas croire que je n’apprécie
pas votre clientèle. »
Il regarda Bob s’éloigner, puis traversa la
rue et entra dans une écurie de louage pour toucher deux mots au shérif James
Timberlake.
Mrs Martha
Bolton avait commencé à louer la propriété de Harbison en 1879, peu après avoir
perdu son mari, et avait su la mettre avantageusement en valeur en fournissant
le gîte et le couvert à ses frères, Charley, Wilbur et Bob, en échange d’un
loyer de quinze dollars par mois et de leur contribution aux travaux de la
ferme. Le bâtiment principal était une maison en planches d’un étage, dont le
toit s’affaissait et dont, par temps d’orage, les branches d’un orme venaient
cingler les bardeaux. La peinture blanche des planches se gondolait et s’écaillait,
des feuilles de papier huilé remplaçaient les carreaux brisés, la porte de
devant était clouée et un jupon de calicot dissimulait les fissures du
soubassement. Martha élevait des poulets qui nichaient sous la véranda et des
vaches qui se désaltéraient dans un réservoir en bois, près d’une éolienne. Elias
Capline Ford tenait une épicerie à Richmond, mais il fanait et s’occupait des
cultures le week-end. Le garçon de ferme attitré de l’exploitation était Wilbur
Ford, un colosse morose âgé de deux ans de plus que Bob, qui menait une
existence secrète dans une chambre accolée à l’écurie couleur terre.
Quand Bob arriva, l’un des chats de la ferme
se léchait une patte sur la banquette d’un cabriolet noir stationné au milieu
des herbes hautes et plusieurs chevaux somnolaient dans un corral branlant en
branches, jonché de paille qu’éparpillait le vent. Dick Liddil jouait à la
balançoire avec Ida, la nièce de Bob, dans la cour. Il tordait les deux cordes
qui soutenaient le siège jusqu’à ce qu’elles pressent sur les hanches de la
jeune fille, puis il lâchait l’assise et Ida se mettait à tournoyer, poussant
des cris aigus, rejetant ses cheveux auburn en arrière, tandis que Dick se
laissait tomber en arrière et l’admirait. Debout sur le seuil de la cuisine, Wood
Hite les surveillait, les poings sur les hanches, sévère comme saint
Jean-Baptiste.
« Tu vas la rendre malade ! admonesta-t-il
Dick Liddil. Elle va dégobiller, si tu ne fais pas gaffe ! »
Dick ignora Wood ; il se redressa et
souleva d’une pichenette la jupe d’Ida, révélant les cuisses de la jeune fille.
« Dick, tu n’as pas le droit de reluquer !
geignit-elle sans grande conviction.
— Mais tu es si jolie ! Je ne peux
pas m’en empêcher ! »
Bob salua Dick de toute sa voix, mais Liddil
ne fit pas attention à lui. Wood rentra dans la cuisine et claqua la porte
derrière lui. Bob se dirigea vers l’écurie ; il avait presque fini d’ôter
le harnachement de son cheval quand il remarqua son frère Elias, allongé sur le
dos sous une moissonneuse McCormick d’emprunt grippée par du foin.
« Comment va ? » lança Bob.
Elias étala la graisse qu’il
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