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L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford

L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford

Titel: L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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ses doigts sur la
canne en bambou et fixa l’eau noircie par la nuit. La lune était cachée et la
soirée se rafraîchissait. Tim jeta un caillou, que le fleuve engloutit
goulûment.
    « Ne fais pas ça, fiston, le sermonna
Jesse. Tu vas effrayer les poissons.
    — Papa, je me nuis. »
    Jesse s’esclaffa.
    « Tu veux dire : “Je m’ennuie.”
    — Oui. »
    Jesse serra l’enfant contre lui avec son bras
droit.
    « Tu vas voir, un poisson va finir par
mordre et tu seras tout excité.
    — J’aime pas la pêche.
    — Bien sûr que si. Moi, j’aime. Tu n’as
pas le choix. »
    L’enfant haussa les épaules et se blottit
contre la veste en laine de son père. Bob dévissa le couvercle du bocal à
conserves et lampa le fond de bière tiède. Le seul bruit était celui du fleuve.
    « Tu sais ce qu’on est, Tim ? reprit
Jesse. On est des oiseaux de nuit. On sort la nuit et on monte la garde pour
que les gens puissent dormir en paix. On ouvre grands les yeux ; rien ni
personne ne nous échappe.
    — J’en tiens un ! s’exalta Bob.
    — Tu en es certain ?
    — Il fait son poids ! »
    Bob avait ferré au premier frémissement, puis
bondi sur ses jambes tandis que sa canne se courbait jusqu’à décrire une
parabole. Campé à côté de lui, Jesse luttait manifestement contre la tentation
de lui arracher la perche de bambou des mains.
    « Ne tire pas comme un sourd, petit. Remonte-le
en douceur. »
    Comme la canne n’était pas équipée d’un
moulinet, Bob la coinça sous son pied et ramena la ligne de la main droite en
scrutant le fleuve en contrebas de la berge, mais sans apercevoir sa prise. Il
l’entendait se débattre à la surface et entreprit de haler sa prise à deux
mains ; enfin, dans un suprême effort, il hissa sur la rive un poisson
hideux d’une espèce dont l’extinction semblait n’avoir que trop tardé. À la
lueur du feu, la créature était orange, ronde comme un gros chien et pourvue d’antennes
pourpres qui remuaient comme des pouces au-dessus de ses yeux. Tim recula
contre les jambes de son père, mais Jesse s’accroupit pour examiner l’animal.
    « Bon sang, il est rudement moche ce
bestiau. »
    Imperturbable, en dépit de l’hameçon
cruellement planté dans sa mâchoire, le poisson continuait à ouvrir et fermer
la gueule avec des cliquetis, sa queue rouge et ses ouïes ondulaient, son œil
bleu vitreux fixait calmement les pêcheurs avec une expression accusatrice. Pour
finir, gagné par le dégoût, Jesse cracha : « Tue-le, mon garçon. »
    Et Bob s’exécuta. Il empoigna un tison
enflammé et larda le poisson de coups jusqu’à ce que Jesse lui intimât de
cesser. Puis il dévisagea Bob comme s’il venait de recevoir un signe et agirait
désormais en conséquence.
    Le lendemain, comme
il s’y attendait, Bob fut renvoyé chez lui après des adieux cordiaux de la part
de Jesse, mais qui n’allèrent pas au-delà de ce qu’exigeait la politesse de la
part de Zee. Un peu plus d’une soixantaine de kilomètres séparaient la ferme de
Martha Bolton de Kansas City et il était déjà midi lorsque Bob atteignit
Liberty, où il abreuva son cheval. Il trempa ensuite une louche en bois dans un
seau d’eau à l’extérieur d’un magasin de nouveautés et, comme il s’apprêtait à
porter le cuilleron à ses lèvres, aperçut son reflet dans la vitrine. Il se
sentit démoralisé à la vue de ce pitoyable avorton coiffé d’un tuyau de poêle
sale, cabossé, ridicule, flottant dans un manteau noir trop large, crotté, taché,
labouré de plis, pincé bas sur la taille par un ceinturon. Se trouvant l’air
nigaud et gamin, il entra dans la boutique et parcourut les rayons.
    Les vêtements masculins chics de l’époque
étaient en règle générale d’inspiration anglaise : costumes à redingote
dont les basques descendaient jusqu’au bas des cuisses, houppelande à col plat
retombant en cape sur les épaules, bottes montant jusqu’au genou dans
lesquelles venaient s’enfiler des pantalons à fines rayures… Les hommes portaient
des chapeaux melon, des feutres mous, d’autres à larges bords et d’autres
encore, tout aussi larges, à coiffe basse, rigides comme des canotiers, inclinés
en arrière, qui maintenaient en place la houppette au-dessus du front. Les
goûts de Robert Ford en matière de vêtements n’avaient alors rien d’extraordinaire
et il sélectionna dans le magasin une fine chemise blanche, un col amidonné
blanc qui se

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