L'avers et le revers
se pâmant, mit genou à terre.
— Le nommé Cocquelain t’a vendu l’autre jour une belle
et saine garce, poursuivit mon maître. Celle-ci n’a pas pris séjour en ton
établissement de son gré plein et entier, et de même je suis très en doutance
que les autres aussi y vivent dans l’acceptation de leur triste sort ! De
ceci, tu rendras compte à M. de La Porte, lieutenant-criminel de la
cité, lequel à l’heure qu’il est doit être en chemin pour se rendre céans.
— Ce Cocquelain m’a nommée ? répondit la chef
maquerelle, et le fait devait lui paraître tant extraordinaire que son visage
s’arrondit de stupéfaction.
— Cocquelain est mort ! Mais un complice de ses
forfaits a causé d’abondance !
L’annonce du trépas de son fournisseur et de la venue
prochaine du lieutenant-criminel fut sans doute un rude coup pour notre
maîtresse garce, car elle s’accoisa, et son visage vira de teintes, tirant sur
le jaune pâle, et sa mâchoire eut un léger frémissement.
Lors mon maître ordonna qu’on lui livrât Margot sans délai et
la chef maquerelle, d’une démarche lente et accablée où toute superbe avait
disparu, nous conduisit à l’étage, après que nous eûmes enfermé les autres
maquerelles au réfectoire et laissé Jonas en faction devant l’entrée. Le long
et sombre couloir que nous longeâmes donnait sur ces cellules qu’on nomme
« le silence » – je le sus plus tard –, lesquelles servent
à la méditation et à la retraite de celles qui ont décidé de se couper du
pauvre monde et de ses terrestres tentations.
Devant l’une d’elles, la chef maquerelle s’arrêta, hésita,
paraissant désirer ajouter quelque chose, mais encontrant le visage fermé de
mon maître, elle se ravisa, tira le verrou et s’effaça de notre passage. Assise
sur une paillasse, les bras le long du corps, prostrée et pâle comme un
linceul, Margot leva un regard perdu vers la porte ouverte.
Ah ! Misère que cette Margot dont je compris dans
l’instant toutes les salissures et meurtrissures qu’elle avait endurées en son
corps ! Dans ses yeux verts, pourtant, nous voyant surgir tout soudain à
la porte de sa cellule, il y eut un sursaut, non pas de joie, mais d’un
soulagement tant profond que j’en fus ému jusqu’aux larmes. Elle se leva mais
n’eut pas le temps de faire le moindre pas puisque j’étais déjà sur elle et, la
soutenant car je crus qu’elle allait tomber de faiblesse, je la serrai contre
moi de toutes mes forces et de toute mon âme, et elle pleura en silence, la
tête sur mon épaule.
Chapitre X
D’aucuns montrent des tempéraments qui les poussent à
épancher leur douleur devant toutes les assemblées, sans pudeur aucune,
confondant l’inconnu de passage d’avec le plus proche parent et lui confiant,
dès la première poignée de main, ses plus personnelles misères et tristesses.
Il est constant que ce travers s’encontre aussi chez certains chroniqueurs de
leur vie, dont le récit n’est qu’une longue litanie de malheurs, auxquels le
lecteur est prié de compatir en une étroite communion. Pour ma part, même aux
intimes j’ai forte reluctance à confier mes états d’âme, surtout si ceux-ci sont
marqués du sceau de la mélanconie et du chagrin.
Pourtant, il ne se peut éviter, narrant sa propre existence,
d’être entraîné aussi, selon les époques évoquées, et maugré vous, vers des
rivages que le bonheur déserta et qui n’incitent guère à rire ni à danser. Or,
les passer sous silence serait déguiser la réalité des destins, car ceux-ci
possèdent bien deux plateaux, lesquels sont également garnis des heurs et
malheurs de chacun. C’est donc affaire d’équilibre que de dérouler les épisodes
d’une vie, il en faut mettre à dextre et à sénestre, à joie et à peine, et
n’être dans l’excès ni de l’un ni de l’autre.
Hélas, la joie de retrouver Margot, en ces dramatiques
circonstances que je viens de conter, s’accompagna d’une palpable angoisse qui,
de elle à moi, par imprégnation, comme l’eau mouille le chiffon, m’envahit
totalement et me laissa marmiteux et solitaire en mes pensées. Hormis celle qui
dans sa chair a subi la même salissure, nul ne peut entendre le tristeux état
de Margot qui, pourtant, luttait bec et ongles pour le nier, bien qu’il
s’imposât à elle comme un parasite dont on ne trouve la curation. De
titanesques efforts, elle en fit dès l’abord, mais déjà,
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