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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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plongé dans l’angoisse, tel un chaton dans un torrent.
    Au demeurant, j’avais été tant furieux et encoléré contre le
curé de notre paroisse quand, tout à la confiance, je lui avais montré l’entame
de ces Mémoires, et n’en avais tiré de lui que de vagues, embarrassées et
obscures circonvolutions, que je craignais fort une déception de la même
farine, et d’autant plus douloureuse que j’aime mon maître, et ai pour lui le
plus grand respect, tant pour ses actions que dans son jugement.
    Et l’attente en un tel prédicament – et pourtant
suis-je plutôt d’une patiente nature – est aussi insupportable que d’être
privé de nourriture ou de rester en plein soleil un jour de canicule. À mes
proches et amis, je ne pouvais me confier, car eux-mêmes ne savaient que néant
de mon entreprise, même mes propres enfants l’ignoraient pareillement, et si
seule ma vieille épousée était en confidence, j’avais toujours obstinément
refusé qu’elle en lût jusqu’à le premier mot d’une phrase.
    Mais je n’eus guère à attendre bien longtemps car mon maître
dès le lendemain s’en revint, et de la rapidité de sa lecture je ne savais s’il
fallait s’en réjouir ou s’en alarmer, car on dévore vite ce qui plaît, mais on
interrompt tout aussi vite ce qui déplaît.
    Il avait l’épaisse liasse de feuilles entre les mains et la
reposa à sa place, sur la tablette, la tapotant sur les bords pour qu’elle soit
bien droite, ainsi qu’il l’avait trouvée la veille. Puis, il alla à la fenêtre,
et regardant au-dehors, les mains derrière le dos, soupira d’une fort
mélancolique manière. Je me tenais coi et distant, ne sachant qui de lui ou de
moi devait causer, et ne voulant paraître trop pressé d’en connaître son idée.
    — Ah ! Mon bon Miroul, fit-il au bout d’un moment
qui me parut fort long, que d’émeuvements et de lointains souvenirs ne m’as-tu
rappelés là ! Tout ceci est à la fois tant près et tant loin, qu’on hésite
à croire que ce temps exista autrement que dans nos mérangeoises.
    Il y eut un silence que je ne troublai pas, car je sentis
dans son ton une telle nostalgie de la jeunesse qu’elle me poigna aussi, et que
dans le passé oncques on ne s’en retourne, qu’il paraît tel un rêve qui vous
plie et vous ploie, et vous laisse désarmé comme un enfant sans père.
    — Ah ! Combien je m’en ramentois et de mon père,
et de la petite Hélix et de l’oncle Sauveterre, et tous ceux de Mespech qui
jadis nous aimèrent ! ajouta-t-il encore.
    Et je ne crois pas qu’il me causait en vérité, car il avait
parlé en un souffle, comme à lui-même, ne se souciant guère que j’entendisse ou
non.
    — Que sommes-nous devenus ! dit-il enfin.
    Puis, il s’ébroua, fit volte-face et me considéra de ses
yeux clairs, et je ne vis rien dans son geste ni dans son attitude qui puisse
soupçonner ce moment de faiblesse.
    — Miroul, sais-tu que tu as fort bonne mémoire et que
de ces histoires je m’en souviens aussi !
    Rien n’osais-je répondre à cela, m’inclinant seulement comme
un bon écolier.
    — Et j’avoue même en avoir découvert, tant il est vrai
que tu eus en Mespech tes propres aventures et amours, dont je connaissais le
sens mais non point les détails. Tel a ses secrets qu’il peut dissimuler, et
qu’il divulgue un jour, on ne sait pas pourquoi. Le sais-tu, mon Miroul ?
    — C’est médecine de l’âme, Moussu Pierre, vous me
l’apprîtes vous-même.
    — Certes ! Encore que je ne sais où celle-ci nous
mène !
    Il s’accoisa, semblant se refermer sur cette dernière
pensée, et j’hésitai à relancer un dialogue qui semblait terminé. Or, pour ma
part, il ne pouvait l’être ainsi, car, sur le fond, je n’en savais guère et de
son opinion et du jugement qu’il portait.
    — Moussu Pierre, dis-je, signifiez-vous que ces
Mémoires vous agréent ?
    Lors, il me dévisagea avec une intensité qui me fit baisser
les yeux.
    — Le revers n’est pas toujours conforme à l’avers,
fit-il, et je ne suis pas assuré que la vérité s’y lise de son côté. Que deux
Mémoires se confrontent et on en distingue les lacunes et manquements. Ici, il
ne m’a pas semblé que tu divergeais trop, hormis certains détails qui m’ont
fort étonné.
    — Dois-je les amender ? demandai-je avec humilité,
mais je sentis comme un gouffre s’ouvrir sous mes pieds.
    — Qu’importe, Miroul, et qui se soucierait de ces

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