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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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impossible de se méfier de ceux
qu’on aime et en qui on a toute fiance. Le mal qui rongeait notre meute se
propagea et s’amplifia jusqu’au jour fatal où Colin, qui s’amusait à leur
lancer au loin un bâton, se fit mordre à la main. Ce n’était rien qu’une simple
morsure, de celles qu’on regarde étonné mais sans y accorder d’importance, et
Colin, plongeant sa main dans un seau d’eau pour y laver le sang, riait de bon
cœur de cette petite affaire.
    Je le revois encore dans sa pleine innocence, montrant la
bénigne blessure à nous autres accourus, et s’écriant :
    — C’est celui-là qui m’a croqué ! S’il recommence,
je lui donnerai du bâton sur le nez !
    Et tous de regarder le coupable, un petit chien noiraud, qui
se tenait à l’écart, l’œil humide et la démarche chancelante, ce que nous
prîmes pour la marque évidente du remords qui devait le tarauder.
    On oublia l’événement, tandis que nos chiens devenaient de
plus en plus incontrôlables, nerveux, agités, presque méchants et que certains
titubaient parfois dans la cour. À près de trois semaines de là, alors que je
revenais d’une maraude en compagnie de Colin, celui-ci s’arrêta tout soudain,
me jeta un regard hagard, et s’assit sur le talus.
    — Qu’as-tu, mon Colin ? lui demandai-je.
    Il avait du mal à parler, suant à grosses gouttes, les mains
tremblantes, la pupille dilatée.
    — Je me sens partir… répondit-il d’une voix si faible
que je pris peur, courus à la ferme alerter mon père, lequel revint
incontinent, et basculant notre pauvre Colin sur le dos, le ramena à la maison.
    La soudaineté du mal plongea la maison dans une grande
affliction. On le coucha et ma mère prépara aussitôt des décoctions de plantes
qu’il eut les plus grandes difficultés à absorber. Son état empirait d’heure en
heure, et après une nuit sans sommeil qu’il passa en gémissant, il tomba dans
un état de grande confusion, parvenant à peine à nous reconnaître et semblant
vivre de véritables hallucinations qui le mettaient dans des frayeurs intenses.
Ma mère resta la journée entière à le veiller tandis que le reste de la
maisonnée vaquait dans une tristesse de plomb aux travaux quotidiens.
    Le surlendemain, Colin montra des signes de folie qui nous
laissèrent désemparés. Quand ma mère s’approchait pour lui donner à boire, il
regardait le liquide avec terreur, le repoussant violemment des deux mains
comme s’il s’agissait d’un poison. Mais le pire était ses yeux fiévreux,
constamment embués de larmes, et la salive qui lui sortait des lèvres, coulant
sur le menton de la plus horrible des manières.
    Il mourut au cours de la nuit suivante devant nous tous
réunis. Mes parents avaient décidé de brûler des chandelles – chose rare
car celles-ci coûtaient extrêmement cher – afin d’attirer sur nous la
clémence du Seigneur, mais il n’y fit rien, et la mort surprit mon pauvre frère
au milieu d’un râle alors que mon père et ma mère, agenouillés au pied du lit,
priaient avec ferveur. Quand mon père se releva, alerté par les derniers
gémissements, et qu’il se pencha sur lui, je vis pour la première fois de ma
vie – et la dernière – de grosses larmes rouler sur sa joue. Il se
tourna vers nous, et ne cherchant nullement à dissimuler son émotion, il dit
d’une voix brisée par le chagrin :
    — C’est fini. Il est mort.
    Et comme ma mère sanglotait au pied du lit, il ajouta un peu
mécaniquement :
    — Dieu l’a rappelé à lui.
    Il ne put prononcer d’autres paroles et tomba dans une sorte
de prostration, tandis que je regardais, incrédule, le corps inerte de mon
frère.
    Qui peut comprendre que la vie puisse si soudainement se
retirer, elle qui charrie tant de force, surtout dans la pleine jeunesse ?
Est-ce vraiment la volonté de Dieu qui s’exprime en ces moments-là ?
J’espère que le lecteur me pardonnera cette dernière pensée car je me rends
compte, après l’avoir relue et alors que l’encre n’en est pas même séchée,
qu’il n’y a pas loin au blasphème à poursuivre en ce sens. Pourtant, j’ai pensé
à l’époque – et je pense toujours maintenant – que rien n’explique
cette disparition et elle reste pour moi, qui certes ne suis pas théologien et
bien ignorant en ces matières, totalement inconcevable et incompréhensible. « Qu’est
devenu mon frère Colin ? » avais-je envie de hurler dans

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