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L'avers et le revers

L'avers et le revers

Titel: L'avers et le revers Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Olivier Merle
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l’affront, les protestants emmenés par le prince Louis de
Condé prirent les armes et lancèrent plusieurs offensives victorieuses sur les
villes de Lyon, Orléans, Poitiers et Rouen, en dépit des ultimes efforts
déployés par Catherine de Médicis – mère du jeune roi
Charles IX – pour ramener la paix.
    En notre lointaine province du Périgord, nous n’apprenions
les événements que longtemps après qu’ils se furent produits. Ce n’est que
lorsque le tumulte et les tueries étaient à leur porte que les gens des
campagnes se rendaient compte, parfois à leurs dépens, que la guerre se
poursuivait. Et elle frappa à notre porte puisque c’est à Vergt, non loin de
chez nous, que l’une des armées protestantes conduite par Duras fut mise à
vaudéroute par le catholique Montluc le 9 octobre 1562.
    Et cette date exacte, que je n’ai apprise que beaucoup plus
tard, me fait accroire que mon maître s’embrouille quand il date dans ses
Mémoires mon arrivée à la baronnie de Mespech au 29 août 1563. Il ne se peut
que ce soit si tard, car les événements qui m’ont forcé à quitter mon lieu de
naissance sont liés assez à cette bataille de Vergt pour que, sur ce point,
j’ose le contredire. De cette affirmation, je peux apporter mille matières
comme je le ferai plus loin.
    Cette bataille de Vergt fut un vrai massacre où pour le
moins un bon millier de huguenots furent proprement occis, non seulement sur le
champ de bataille, mais aussi dans les bois alentour, car le goût du sang gagnant
les campagnes, les survivants furent poursuivis sans pitié par les gueux,
transpercés par les piques et les fourches, et parfois démembrés à coups de
faux. Ces troubles sanglants se prolongèrent plusieurs jours car il est dur de
ramener le populaire dans ses logis quand il se livre à la boucherie, d’autant
plus qu’au sang s’ajoute la picorée – même sur les cadavres –,
laquelle rapporte prou à ces pauvres hères qui sont tant démunis de tout.
    Ce jour-là, je m’en revenais seul de la cueillette des
châtaignes, le panier chargé de bogues, et le soleil déclinait vite à
l’horizon, effleurant à l’oblique les frondaisons des grands arbres. C’était un
moment d’une grande douceur comme on peut en connaître le soir sur la Dordogne.
Une fois parvenu, je me rendis incontinent à la grange pour poser mon butin et
m’occuper de traire notre bonne vache, tâche dont je m’acquittais chaque soir.
    J’en étais là de ma besogne, assis sur le petit tabouret et
pressant machinalement les pis tour à tour, ce qui ne manque pas de volupté,
absorbé tant par mon travail que par des pensements amoureux au sujet d’une
bonne garce d’un hameau voisin que j’avais de très près connue peu de jours
auparavant. La chose était nouvelle pour moi et j’avais soudainement remplacé
la grimpe aux arbres par d’autres assauts moins périlleux et plus apazimants.
    Le tumulte s’abattit si soudainement sur la ferme que j’en
restai interdit, les doigts gelés sur les pis, à tel point que la vache étonnée
tourna vers moi son cou puissant comme pour vérifier que j’étais toujours
céans. Les hurlements se mêlèrent tous ensemble en une affreuse union, cris de
panique et de souffrance d’un côtel, cris de haine et de joies malsaines de
l’autre. Je ne saurais dire combien de temps je suis resté ainsi, cloué à mon
siège comme une statue, le cerveau gourd refusant d’admettre ce qui se passait
au-dehors.
    Puis d’un bond, je me levai, courus jusqu’à la porte de la
ferme, laquelle était juste entrouverte, et jetant un œil dans la cour je fus
saisi d’horreur. Mon père et mes deux frères gisaient à terre dans de larges
flaques de sang, et une vingtaine de gueux, brandissant piques et barres de
fer, tournaient autour en une horrible danse macabre et riaient à gorge
déployée de leur affreux forfait. Comme l’un de mes frères râlait encore et
s’entortillait de douleur sur lui-même, l’un des massacreurs déboutonna son
haut-de-chausses, pissa roide dessus tout en l’injuriant, puis lui enfonça la
pique dans le cœur avec une telle force qu’il eut du mal à la retirer, celle-ci
s’étant enfoncée par en dessous dans le sol rocailleux de la cour.
    Ma main se porta d’instinct au manche de mon couteau, mais
je sentis alors mon corps se refuser tout à plat, les jambes pliant sous le
buste, des tremblements agitant les bras, et les yeux se brouillant dans

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