Le Baiser de Judas
Douter et croire, au fond, c’est la même chose :
c’est ne pas se poser de questions qui est faute. »
Cette réplique ne répondait pas aux
interrogations de Judas.
« Et où cela va-t-il te mener ?
— Je ne sais pas. Mon destin me pousse
vers Jérusalem. Là-bas, Dieu nous accompagnera. »
De plus en plus
souvent, des prostituées se mêlaient à ceux qui suivaient Jésus et les apôtres,
et trouvaient parmi eux quelques clients. Un soir même, alors que des flacons
de vin avaient circulé, Judas et Simon avaient accompagné deux d’entre elles. Tout
le petit groupe l’avait su. Jean avait pris immédiatement son air horrifié et
était allé en parler à Jésus, qui n’avait réagi qu’avec un sourire un peu
désabusé. Mais ce sourire avait fait mal à Judas qui, tout en affirmant avec
des airs de matamore que sa vie ne regardait que lui, n’avait pas depuis
renouvelé l’expérience.
Ce jour-là, une des filles se dirigea vers lui.
Il avait soif, et s’était arrêté près d’un puits, attendant que le puiseur d’eau
lui amenât le seau.
« Je me demandais si c’était toi. »
La fille souriait, et Judas reconnut Marie la
Magdaléenne.
« Que fais-tu là ? Tu… Tu travailles ? »
Il tenta de dissimuler son trouble sous un
rire faux.
« Je voulais te voir.
— Moi ? Après tant d’années ? »
Il mentit, toujours gêné.
« Je t’ai reconnue tout de suite. Tu es
toujours aussi belle…
— Malgré cela ? »
Elle montra du doigt les fils d’argent qui
émaillaient sa chevelure.
« Malgré cela, oui… Tu as gardé la même… cette
espèce d’aura, de… Je ne sais pas trop comment dire, mais tu es toujours la
même. »
Marie rit d’aise.
« Je te remercie. Tu es resté de ton côté
un galant homme. Tiens, asseyons-nous là, je suis fatiguée. Cela fait trois
jours que je marche.
— D’où viens-tu ainsi ?
— D’Archélaüs.
— Tu n’es plus à Jérusalem ?
— Non. J’avais économisé quelques sous. Avec
Marcius, un soldat romain qui était l’un de mes plus fidèles clients, j’ai
ouvert une taverne à Sichem. C’était surprenant. Les mentalités sont très
différentes, et nous n’étions sans doute pas très doués pour les affaires. Marcius
n’a pas non plus toujours été très honnête et j’ai dû me remettre à travailler
à mon compte. Mais j’avais vieilli. J’avais changé aussi. »
Elle s’interrompit.
« Tu sais toujours écouter, murmura-t-elle.
C’est bien. »
Judas la regarda.
« J’en ai eu assez, reprit-elle. Ces
hommes qui passaient, ces échanges qui n’en étaient pas… Même le sentiment de
faire autour de moi un peu de bien ne me suffisait plus. Et puis un jour où j’étais
allée visiter une amie à Tarichée, ton Jésus y est venu.
— Quand ça ?
— Il y a deux mois ou trois… C’est le
jour où il a sauvé cette femme. »
Thomas, qui y avait assisté, avait un soir
raconté l’incident à Judas, mais ce dernier, fatigué, s’était endormi avant la
fin.
« C’était une femme bien, la femme d’un
cordonnier. Elle avait eu un coup de passion pour un ouvrier agricole, un Grec
pauvre qui traînait dans le village depuis le début des moissons. Le mari s’en
est douté, les a suivis avec des amis et les a pris sur le fait. Ils ont battu
le Grec à mort, et ont amené la femme sur la place pour la déshabiller et la
lapider. Son corps était pitoyable, maigre, bleu, à se demander comment elle
avait pu tenter un homme… Ton Jésus était là, arrivé la veille. Il s’est
interposé, malgré les cris. Seul, il paraissait être le plus fort. Il s’est mis
à parler. Il a dit des choses extraordinaires : que nous étions coupables
devant Dieu tous au même titre, que les plus petits valaient les plus grands, qu’elle,
femme adultère, moi, simple prostituée, eux, simples paysans, étaient aux yeux
de Dieu tous égaux et que nul n’avait le droit de juger l’autre qu’il ne soit lui-même
totalement pur. Il a dit tout cela sans la regarder, comme s’il se refusait à
ajouter à sa honte. Sa voix les a tous apaisés. Ils ont reposé leur pierre. Le
mari a repris sa femme. Seuls quelques hommes, qui n’avaient pas assisté à la
scène, lui ont reproché sa complaisance. Mais personne ne les a suivis… »
Elle s’arrêta, sous le coup de l’émotion.
« Et depuis ? reprit doucement Judas.
— Depuis, j’ai essayé de savoir vraiment
qui il était. Un
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