Le Baiser de Judas
s’opposer, d’être contre, de piétiner les
autres, répondit Jésus, excédé devant l’incompréhension de Judas. Je ne veux
pas devenir le rival de Jean. Je ne veux pas que nous nous retrouvions comme
deux chiens à nous partager le titre de prophète dans la région.
— Mais il t’a désigné.
— Ses disciples ne l’ont pas entendu
ainsi, et il y a d’autres luttes à mener que contre eux. Je ne resterai pas ici.
— Et tout ce que nous avons fait jusqu’alors ?
— De toute façon, j’y pensais depuis
longtemps. C’est là que mon père m’attend, là, j’en suis sûr, que mon destin
doit se jouer. »
La douleur était réapparue sur ses traits.
« Nous allons partir en Judée. Marcher
vers Jérusalem. La tâche sera rude. Mais je nous sens maintenant assez forts. Jérusalem
est le centre du judaïsme. La bataille ne peut se perdre ou se gagner que
là-bas. C’est là maintenant que nous devons aller. »
Judas frémit. Jérusalem… Y retourner… D’un
coup, ce dont il rêvait tout en le craignant se réalisait. Jérusalem… S’attaquer
directement au Temple, et par lui aux Romains. Pouvoir enfin lancer Jésus dans
la vraie bataille, et cela à peine plus d’un an après l’avoir rejoint… Il ne
sut plus quoi dire et se sentit oppressé, comme s’il avait du mal à respirer.
CHAPITRE 20
Il ne fut pourtant jamais aussi proche de la
rupture qu’à l’heure d’atteindre ce but tant attendu. Aux confins de la Judée, ils
furent rattrapés par un détachement de trois Romains. Judas se rapprocha de
Jésus, la main sur les armes. Pierre regroupa derrière lui les autres, et les
soldats se trouvèrent devant une troupe prête à se battre.
« Est-ce toi le guérisseur dont on parle
tant ?
— Je ne suis pas un guérisseur. Je dis la
parole de Dieu.
— Tu es ce Josué ?
— Pas Josué, Jésus.
— C’est pareil. Mon maître veut te voir. Il
est à quelques stades d’ici. Suis-nous.
— N’y va pas, intervint Judas. C’est un
piège. Nous nous ferons tous tuer plutôt que de te laisser aller.
— Sais-tu, petit Juif, que tu ne
tiendrais pas cinq minutes face à n’importe lequel de mes hommes ? »
Judas bondit sous l’insulte. Jésus dut lui
prendre le bras pour le ramener en arrière.
« Je vais t’accompagner, Romain. Mais
cesse d’adopter ce ton persifleur avec moi. Tu n’es pas sur ta terre, souviens-t’en.
Et je ne te suivrai que si mes compagnons viennent.
— Dépêchez-vous alors. »
Ils marchèrent un quart d’heure avant d’arriver
devant un campement de trois tentes.
« Vous l’avez trouvé ? »
Le centurion qui s’était précipité suait d’angoisse.
« C’est lui ? »
Il semblait au bord de perdre la raison.
« C’est lui ? C’est ce guenilleux ?
Tu en es sûr ?
— Ils ne sont que dix, murmura Judas à
Jésus. Nous pouvons les avoir. »
Le centurion s’approcha. Il désigna une des
tentes, d’où s’échappaient des gémissements sourds.
« C’est toi qui fais des miracles ? Guéris
mon fils. Je ne sais pas ce qu’il a. Depuis deux jours, il ne respire plus qu’avec
difficulté. Et cela va en s’aggravant. Que peux-tu faire ?
— Je n’en sais rien. Laisse-moi l’examiner.
Même les miracles ont besoin d’un peu de médecine. »
Il y avait sur le visage de Jésus une ironique
douceur, comme s’il voyait de très haut les soucis du centurion. Est-ce cela
qui mit l’homme en rage ? Il prit un glaive.
« Je te préviens, misérable Juif, si tu
ne le guéris pas, tu meurs avec lui, et tes hommes avec toi. »
Judas ne comprit jamais ce qui se passa
ensuite.
Le centurion posa son glaive sur la gorge de
Jésus, qui continuait de sourire, imperturbable. Puis il recula, se frotta les
yeux et tomba à genoux. Le glaive chut à ses pieds.
« Seigneur, je ne suis pas digne de te
laisser entrer sous ma tente. Dis juste un mot, et mon fils sera guéri. »
Les soldats se regardèrent, éberlués.
« Qui es-tu, magicien maudit ? »
s’écria le décurion, qui fit mine de lancer son cheval.
Jésus n’avait cessé de sourire.
« Ta confiance me touche. Mais il va
quand même falloir que je voie ton fils. »
Il se tourna alors vers les siens et leur dit :
« Regardez : même dans notre peuple,
je n’ai pas rencontré beaucoup de gens qui croient comme celui-là. Prenez
exemple…
— Exemple ? Sur un Romain. Tu es fou ? »
Judas avait rugi. Deux soldats
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