Le Baiser de Judas
grecque et vendue à Rome, ville que
Philippe, frère d’Antipas et souverain de Trachonitide, avait fait construire à
une journée de marche de Capharnaüm, ville où les Juifs étaient peu nombreux et
peu aimés. Mais un gros marchand d’huile lui avait commandé une centaine de
grandes jarres, et c’était une offre qu’il ne pouvait refuser. Depuis plusieurs
jours, il parlait d’emmener avec lui son aîné.
« Prends-le avec toi, avait même
intercédé Ciborée. Il en meurt d’envie, et ça lui montrera aussi les côtés plus
amusants de ton métier. Peut-être qu’il en a assez de tourner des vases toute
la journée… »
Ciborée espérait aussi que la présence de son
fils empêcherait Simon de s’embarquer dans des affaires trop dangereuses.
Le matin, Simon réveilla Judas. Ils attelèrent
la charrette dans le froid, puis portèrent avec précaution les jarres qu’ils
avaient passé la semaine à fabriquer, enveloppées dans des tissus.
Le soleil levant éclaira leur départ et la
Galilée se montra dans la splendeur de l’automne débutant : l’ocre de la
terre, le vert des oliviers, les derniers éclats des multiples essences, grenadiers,
figuiers, palmiers se mêlèrent. Judas n’avait encore jamais vu d’autre terre, mais
sentait déjà qu’il n’en serait pas d’autre pour le ravir à ce point.
Il leur fallut deux jours pour atteindre
Césarée. Ils passèrent la nuit dans un khan, où ils eurent de la chance de
trouver de la place. L’intendant, qui gardait la porte, leur expliqua d’abord
que le cheikh propriétaire de l’endroit recevait de la famille et qu’aucun
voyageur ne pouvait être admis. Simon fit valoir la fatigue de Judas, la
fragilité de sa cargaison, et glissa quelques pièces dans la main de l’homme
qui finit par leur dénicher une place sur la terrasse, couverte de la poussière
crayeuse de la route. La charrette, elle, dut rester dehors, et Simon passa une
partie de la nuit à la surveiller. Tous ne parlaient que d’une attaque de
brigands, qui avait dépouillé une caravane venue de Phénicie.
À l’approche de la ville, la végétation se
raréfiait. Ils se rendirent aussitôt chez le marchand qui les attendait, examina
les jarres, et s’estima satisfait. Une seule avait été ébréchée pendant le
trajet, que Simon proposa de réparer. Le marchand paya comptant, ajoutant même
un petit quelque chose. Simon, ravi, offrit à Judas du pain au miel et de
petits poissons frits dans l’huile d’olive.
« Nous allons passer la nuit ici, et nous
repartirons demain. Un ami nous accueillera. »
L’ami s’appelait Élisée, et était bourrelier. Il
habitait le quartier réservé aux Juifs, que Philippe, copiant en tout les Grecs,
avait fait construire près de la kenesset. Sa maison, plus pauvre que celle de
Simon, n’avait pas de fenêtre, et n’était éclairée que par la porte, laissée
grande ouverte la journée, et une lampe à argile accrochée au mur pendant le
repas du soir.
Il manifesta à voir arriver Simon plus de
soulagement que de joie, et il y eut tout de suite un rien de tension dans la
pièce. Les deux hommes chuchotèrent, comme si l’enfant, malgré son jeune âge, les
gênait. Ils prirent ensuite en silence un rapide repas, puis Élisée montra à
Judas la natte sur laquelle il devait dormir avec son père.
« Couche-toi, lui dit Simon. Je dois
parler de deux, trois choses, et je te rejoindrai. Dors. »
Judas se glissa sous la peau de mouton, sentit
le frottement de la barbe de son père sur sa joue, et se roula en boule.
Il eut du mal à lutter contre le sommeil, et
se pinça régulièrement pour se tenir éveillé. Des coups à la porte se firent
bientôt entendre et trois hommes, inconnus de l’enfant, entrèrent.
Ils parlèrent encore un moment avant de se
décider soudain à partir. Simon s’approcha de la natte, jeta un coup d’œil à
son fils qu’il croyait endormi, puis sortit.
Judas se leva derrière eux. Il ferma avec
précaution la porte, s’assurant en la bloquant qu’il pourrait la rouvrir.
La rue était noire. Il y faisait froid. Il eut
une immense envie de revenir sur ses pas, mais se força à aller de l’avant.
Il suivit ainsi son père et ses compagnons
jusqu’à apercevoir, tapi dans l’ombre, le réservoir d’eau qui desservait la
ville, et s’approcha aussi près qu’il le put, dissimulé derrière un tas de
gravats.
Il regarda les hommes, affairés au pied du
réservoir. Il lui
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