Le Baiser de Judas
lui
revint.
Il entendit à ce moment la voix de Ciborée.
« Judas ? Judas ? Tu es
réveillé, mon chéri ? Viens, viens me voir. »
Elle lui tendit une galette de pain encore
chaud, dans laquelle il enfouit le visage avant d’y planter les dents.
« J’ai une surprise pour toi aujourd’hui.
Mais mange d’abord.
— C’est quoi ?
— Je ne peux pas te le dire. Tu verras. »
Ils partirent une heure plus tard, après avoir
confié Hannah à une voisine. Très vite, ils rencontrèrent une caravane et la
suivirent, de peur des brigands. Personne ne demanda à Judas et à sa mère qui
ils étaient. Une quinzaine de chameaux et quelques ânes, dont les braiments s’entendaient
de loin, s’étiraient le long de la piste. Les enfants couraient devant, puis
revenaient à l’appel de leurs parents. Parfois, les voyageurs s’arrêtaient pour
chanter des louanges à Dieu, et Judas et sa mère s’agenouillaient avec eux.
Aux portes de la Trachonitide, ils
abandonnèrent la voie royale et leurs compagnons pour s’enfoncer seuls dans le
désert. Bien que l’hiver approchât, la chaleur restait éprouvante. Le vent
soufflait fort, transportant un sable rouge qui se fixait dans les tissus et y
faisait comme des taches de sang. Judas avait demandé à monter sur le dos de l’âne,
ce qui ne lui était accordé d’ordinaire qu’aux jours de fête.
Au bout d’un moment, ils approchèrent d’une
haute falaise, laquelle semblait monter vers l’aveuglant soleil. Quand ils
voulurent pénétrer dans l’un des défilés qui trouaient la falaise, trois hommes
en sortirent et s’approchèrent de Ciborée, qui les salua. De sa poche, l’un d’eux
sortit un foulard et lui en couvrit les yeux. Quand il voulut faire de même
avec Judas, l’enfant se débattit. Sa mère dut lui en expliquer la nécessité.
Ils marchèrent encore un moment, puis Judas
sentit à la fraîcheur qu’ils passaient à l’ombre. Les bandeaux leur furent
enlevés. Ils étaient à l’intérieur de la montagne, environnés de hautes parois.
Un cri d’oiseau s’éleva et des cordes tombèrent d’une cavité invisible d’en bas.
Judas se hissa en s’aidant des pieds. Ciborée eut plus de mal, et il fallut que,
d’en haut, quelqu’un tirât la corde. Dès qu’il eut atteint la grotte, avant
même que ses yeux ne s’habituent à l’obscurité, Judas fut broyé dans des bras
puissants, et reconnut l’odeur de son père.
« Mon fils. »
Sa grosse voix roulait sous les voûtes de la
caverne. Une douzaine d’hommes étaient là, parmi lesquels Judas reconnut
Zacharie et Jochanaan. Il leur fit un geste timide de la main. Son bonheur de
retrouver son père était pourtant amoindri par la conscience que sa mère lui
avait menti en prétendant ne pas savoir où il était.
Simon se tourna vers Ciborée, l’air fâché. Il
lui avait dit de venir le moins possible et, malgré son immense joie de la
revoir, s’étonnait qu’elle ait ainsi fait courir le risque du déplacement à son
fils.
« Je dois te parler. »
Il la regarda et l’entraîna dans un coin de la
grotte où les autres, discrets, ne les suivirent pas.
« Je crois qu’il faut que tu racontes à
ton fils ce que vous faites.
— À Judas ? Mais ce n’est qu’un
enfant. C’est pour cela que tu l’as amené ?
— Ce n’est plus un enfant. »
Elle raconta l’histoire de Josué. Des larmes
vinrent aux yeux de Simon.
« Que Dieu maudisse les Romains ! »
Il avait parlé fort, faisant se retourner les
hommes qui commençaient à allumer un feu au fond de la galerie.
« Toute la semaine, il a tourné en rond, désespéré.
J’étais trop occupée pour m’en rendre compte, et j’ai cru que c’était juste le
deuil de son ami qui le torturait. Mais il se sentait terriblement coupable. Hier,
il m’en a parlé un peu. Je l’ai senti totalement perdu.
— Il faut qu’il oublie. Que veux-tu faire
d’autre ? Bien sûr que ce n’est pas sa faute. Mais pourquoi aussi ne m’a-t-il
pas raconté cela le jour où cela lui est arrivé ?
— Peut-être pour la même raison que celle
qui t’a fait éviter de me raconter toi aussi son absence ? »
Simon ne répondit pas, craignant la dispute. Mais
Ciborée reprit, calmement.
« Je crois qu’il n’oubliera sa faute que
si votre action prend un sens à ses yeux. Tu peux lui dire que vous êtes
responsables du sabotage du réservoir, ce n’est de toute façon plus un secret pour
grand
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