Le Baiser de Judas
saboté.
— Oui, officier. Tu peux demander à tous
nos voisins.
— Je le ferai, rassure-toi, je le ferai. »
Les soldats interrogèrent les uns après les
autres tous les habitants. Dans d’autres villages suspects, la même enquête eut
lieu. À Chorazim, elle n’amena rien. À l’instar de Ciborée, tous les habitants
s’en tinrent au silence ou au mensonge. Flavius entra dans une rage noire quand
Antonius lui apprit les résultats de son enquête.
Le cadavre de Josué
ne fut trouvé que trois jours après la visite des Romains, aux alentours du
village. Les moutons étaient rentrés sans lui, et ses parents, pestant d’abord
contre son insouciance, s’étaient ensuite inquiétés. De nuit, une battue avait
été commencée, mais sans aboutir, et c’est la mort dans l’âme que les
villageois avaient dû abandonner leurs recherches. Le lendemain, ils trouvèrent
le corps de l’enfant, accroché aux branches d’un sycomore. Il portait de
nombreuses marques de torture : un œil crevé coulait sur sa joue en une
traînée blanchâtre.
Le corps fut ramené dans un silence total. Josué
n’était pas très aimé, mais c’était un membre de la communauté et, à ce titre
déjà, elle se sentait blessée. Il fut enterré dans la matinée. Les cris des
pleureuses s’élevèrent jusque loin dans la plaine. Deux soldats romains
tentèrent d’entrer dans le village, mais les habitants firent masse, et cette
seule présence suffit à les décourager.
Judas fut bouleversé, autant par la perte de
son ami que parce qu’il comprit tout de suite qu’il en était responsable. Cela
ne serait pas arrivé si, le matin de sa capture par les deux soldats au pied du
réservoir, il n’avait donné le nom du pâtre comme le sien.
Une semaine durant, il parvint à garder le
secret, mais n’avait plus la tête à rien d’autre. Ciborée, pensant que son
désespoir n’était dû qu’au deuil, le consolait d’une tendresse un peu absente. Plusieurs
fois, il voulut lui parler, mais n’y parvint pas. Un soir, pourtant, il n’y
tint plus. Un de ses oncles l’avait emmené à la synagogue. Judas n’aimait pas
écouter la Torah en hébreu, langue qu’il ne comprenait pas, et jouait avec ses
tsitsit. Il refusa de participer à la simhat tora, cette farandole où
les enfants parcouraient l’édifice en tenant les rouleaux de la Loi et en
chantant. Le soulagement qu’il attendait des rites ne venait pas.
Il libéra son cœur en rentrant chez lui.
« Maman, Josué est mort à cause de moi.
— Ne dis pas cela, mon chéri. Josué est
mort parce que les Romains nous veulent du mal. Tu n’y es pour rien. »
Elle l’écoutait tout en préparant les matzoth
pour le repas du soir.
« Si, Maman, c’est ma faute. »
Il n’arrivait à rien dire d’autre, submergé
par l’émotion. Ciborée finit presque par se fâcher.
« Arrête de répéter cela, Judas. Cela
devient idiot, à la fin. Nous avons tous de la peine. Mais ce n’est la faute de
personne.
— Si. La mienne. »
Elle soupira, exaspérée. Se sentant totalement
rejeté, il prit son courage à deux mains et lui raconta comment il avait voulu
suivre son père, comment il avait été capturé près du réservoir, comment les
Romains l’avaient fait boire et pourquoi il avait donné le nom de Josué à la
place du sien. Ciborée ne comprit pas tout de suite puis, d’un coup, fit le
rapprochement. Bouleversée, elle se précipita sur son fils et l’étreignit.
« Mon pauvre petit, mon pauvre petit. »
Elle le regarda.
« Et tu n’as que dix ans. »
Judas pouvait enfin se laisser aller à de
véritables sanglots.
« Mon chéri, tu n’y es pour rien. Tu as
été piégé par plus fort que toi. Nous ne faisons pas toujours ce que nous
voulons. Des forces supérieures nous dépassent. Ce qui est arrivé, tu n’as pas
voulu le faire, et cela ne s’est pas produit parce que tu es mauvais mais parce
que les Romains sont là. Ce sont eux, les seuls vrais coupables. Personne n’est
responsable du mal autour de lui. Ne t’en fais pas, mon petit, ne t’en fais pas.
— Si, Maman, je l’ai trahi. »
Il ne voulait pas en démordre. Elle arrêta de
chercher à le convaincre et se mit à lui chanter un vieux chant. Il s’endormit dans
ses bras.
Il se réveilla dans
le lit de sa mère. L’odeur du pain qu’elle cuisait lui parvint aux narines. Il
allait se lever quand, tranchante comme un poignard, la pensée de Josué
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