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Le Baiser de Judas

Le Baiser de Judas

Titel: Le Baiser de Judas Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Prolongeau
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pèlerin qui avait amené son
mouton pour le sacrifier et s’en voyait refuser le droit. Derrière les bêtes, deux
ou trois hommes ramassaient du crottin pour le faire sécher et l’utiliser comme
combustible. Indifférents au brouhaha, des rabbins discutaient un point de Loi.
    À l’entrée, les gardiens vérifièrent que les
deux pèlerins ne portaient rien d’impur sur eux. Une vingtaine d’entre eux tentaient
de contrôler la foule : fruits, légumes, laitages, bois devaient être
purifiés, et l’étaient au moyen d’une taxe supplémentaire. Les aveugles et les
infirmes, eux aussi impurs, restaient à la porte où ils mendiaient. Samuel paya
deux impôts supplémentaires, exigés pour le rachat de son âme. En levant la
tête, Judas vit les ponts privés par lesquels passaient les prêtres.
    Puis il croisa les soldats romains, filtrant à
leur tour la populace, et faillit rebrousser chemin. Leurs cuirasses jetaient
sous le soleil des reflets d’argent. Ils venaient de partout : noirs, blonds,
latins, gaulois, n’ayant guère en commun que leur uniforme, peinant même à se
comprendre dans un sabir fait d’emprunts divers à leurs langues maternelles. Beaucoup
ne cachaient pas leur mépris pour le peuple qu’ils faisaient passer, le
rudoyaient, se moquaient ouvertement des plus miséreux.
    Au-dessus de lui, Judas aperçut la forteresse
Antonia, qui permettait aux Romains de surveiller l’activité du Temple. Il
ragea en réalisant que s’il pouvait adorer son Dieu ici, c’était parce que ces
étrangers le toléraient. Samuel, sentant son irritation, lui saisit le bras. Un
lévite s’approcha et leur indiqua la boutique où ils trouveraient les plus
beaux souvenirs.
    Ils lurent à l’entrée de la deuxième enceinte
les panneaux qui interdisaient aux païens de la franchir sous peine de mort, puis
entrèrent et approchèrent du saint des saints. L’airain des portes brillait
comme s’il était neuf. À l’intérieur se dressait un vaste cube central dont les
murs alternaient blocs de pierre blanche et lames d’or. L’or était partout, recouvrant
les dômes et les flèches, presque aveuglant, répandu sur les tables, les autels,
les chandeliers. Autour s’étendaient sur plusieurs centaines de mètres d’immenses
cours séparées à nouveau par d’impressionnantes colonnes. Tout était fait pour
attirer l’œil, tout était célébration de la grandeur.
    Ils dépassèrent le parvis des femmes, où les
mères gardaient avec elles leurs enfants encore religieusement mineurs, et, après
avoir rajusté sur leurs têtes leurs châles de prière, rejoignirent par la porte
Nicanor le parvis d’Israël. Un prêtre prenait les animaux, les amenait aux
abattoirs sacrés et portait ensuite le sang du sacrifice jusqu’à l’autel le
plus proche. Ils officiaient debout en robe de lin, ceints d’une ceinture d’hyacinthe,
le plus haut en grade portant la tiare et le pectoral aux douze pierres.
    Les animaux hurlaient. L’odeur de sang prenait
à la gorge. Les sacrifices se succédaient les uns aux autres, et les bêtes, à
peine abattues, étaient dépecées sur de grandes tables de marbre. La viande, cuite
sur des brasiers, était à la disposition de qui l’attrapait. Samuel plongea
dans la mêlée, et réussit à revenir avec deux petits bouts trop cuits, qu’il
offrit avec componction à Judas. Une odeur indescriptible de viande brûlée et
de graisse se mêlait à celle de l’encens qui s’échappait des cassolettes.
    Judas regarda autour de lui, partagé entre son
admiration pour l’édifice le plus grand qu’il ait jamais vu et le regret que le
dieu juif ne se soit vu offrir que ce vaste bazar gréco-romain. Il lui parut d’un
coup mieux comprendre ce qu’il pouvait être venu faire dans la ville sainte. Et
il mordit dans sa viande avec ardeur, se précipitant ensuite à son tour dans la
cohue pour tenter d’en attraper un autre morceau.
    *
    *   *
    Il se sut assez vite
qu’il y avait chez Samuel un nouvel apprenti, et qu’il était plutôt doué. Rapidement,
la clientèle du vieil homme devint plus nombreuse. Judas, qui ne quittait au
début son tour que pour aller vérifier la cuisson des pièces, se mit petit à
petit à échanger quelques mots avec les clients, puis à discuter longuement
avec eux. Il vit passer d’autres marchands, quelques lévites, un rabbin, avec
son habit orné de gros glands de soie jaune… Souvent des mères venaient, accompagnées
de leurs

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