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Le Baiser de Judas

Le Baiser de Judas

Titel: Le Baiser de Judas Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Prolongeau
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question de savoir s’il valait mieux, comme l’avait toujours
fait Judas, modeler en bloc ou, comme le faisait dorénavant Samuel, par pièces
séparées. Ils ne virent pas que la nuit tombait.
    « Allez, viens manger », lui dit
Samuel à la fin de la séance, avec un petit sourire malicieux. Et Judas réalisa
qu’il avait tout oublié de sa déception.
    Il devait aussi vite
s’apercevoir que son hôte était habitué à vivre en vieux garçon et en compagnie
exagérée du vin, loin de l’ardeur révolutionnaire des insurgés des grottes. Samuel
n’en savait d’ailleurs que très peu sur l’organisation de Barabbas, sinon qu’elle
luttait pour la venue du royaume d’Israël. Il attendait le messie avec une
confiance qui le poussait surtout à ne pas trop en faire pour hâter cette venue.
    Le troisième soir, il invita Judas à boire
avec lui. Le jeune garçon se laissa faire. Il connut d’abord le plaisir de la
griserie, les fous rires, sentit qu’il se laissait aller à trop en raconter sur
lui-même et sur les grottes, tenta de se reprendre, n’y arriva pas, et finit
par vomir sur le pas de la porte, sous les éclats de rire de son compagnon. Le
lendemain, migraineux et honteux, il tenta de savoir jusqu’où il était allé. Samuel
ne lui donna pas l’impression d’avoir retenu quoi que ce soit de leur semblant
de discussion. Il se jura de ne plus boire et, trois jours plus tard, trahit
son serment.
    Il se mit alors à s’enivrer régulièrement. Sa
sympathie pour Samuel allait grandissant, et il arriva assez vite à mieux
maîtriser les effets du vin. Ils parlaient, se chamaillaient, travaillaient
ensemble. Comme beaucoup de Judéens, Samuel raillait gentiment les Galiléens et
faisait enrager Judas avec une série de plaisanteries dont les hommes du Nord
faisaient les frais.
    « Si tu veux t’enrichir, va au nord ;
si tu veux devenir savant, viens au sud », se plaisait-il à répéter. Le
soir, le vieil homme aidait parfois Judas à s’étendre sur sa couche quand ce
dernier tombait de sommeil.
    « Et si enfin
tu allais au Temple ? Je voudrais y sacrifier quelques colombes demain. Viens
avec moi. »
    Judas ne répondit pas tout de suite à l’invitation
de Samuel. Il hésitait, se sentant doublement coupable, coupable envers son
Dieu de ne pas encore être allé l’honorer là où il était chez lui plus qu’ailleurs,
coupable envers la mémoire de Judas Maccabée dont l’entrée plus de cent
cinquante ans auparavant dans le même Temple l’avait tellement fait rêver.
    Ils partirent tôt le lendemain matin. Le
soleil éclairait encore timidement les coteaux qu’il allait incendier dans la
journée. Il atteignit l’énorme masse blanche du Temple quand les deux hommes se
retrouvèrent avec des centaines d’autres, guenilleux comme riches, piétinant
devant les murs de douze mètres qui ceignaient le sanctuaire. Seules les
colonnades du portique royal fermant le côté Sud étaient achevées. Des dizaines
d’ouvriers travaillaient encore aux soubassements, et une poussière blanche s’élevait
des pierres qu’ils manipulaient, retombant en fine pellicule sur les pèlerins.
    Judas et Samuel dépassèrent la porte Ouest
pour atteindre le « parvis des gentils », un marché entouré de trois
colonnades corinthiennes. Vaches et moutons, attachés à des anneaux sous les
portiques, y piétinaient le sol de marbre vert, tournant, bêlant, dégageant une
épaisse poussière.
    La cacophonie était indescriptible. Les
trafiquants d’huile et d’encens, de sel, de farine s’égosillaient pour se faire
entendre. Des intermédiaires vendaient aux enchères les sceaux permettant
ensuite de retirer près du marchand un animal. Des boutiques proposaient
colifichets, anneaux précieux, boîtes à épices… Samuel fit la queue pour
acheter ses colombes, et fouilla dans ses poches : seules les pièces
juives de cuivre ou de bronze étaient admises, et des changeurs, massés au sud
de la porte de Coponius, étalaient sur des caisses toutes les monnaies
imaginables. Devant Judas, un couple misérable tentait de négocier une paire de
colombes, seule offrande permise à leurs bourses pendant que les serviteurs des
plus riches emmenaient un ou plusieurs bœufs. Des protestations s’entendaient :
    « Un dinar d’or le pigeon ! Mais il
était à un dinar d’argent la semaine dernière !
    — Il y en a moins cette semaine. »
Une dispute éclata entre un marchand et un jeune

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