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Le Baiser de Judas

Le Baiser de Judas

Titel: Le Baiser de Judas Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Prolongeau
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cruche. Jamais personne n’avait
parlé à Judas comme cela de ces choses.
    « Tu as connu une grande brune, très
belle… ?
    — J’en ai connu plusieurs. Comment s’appelle-t-elle ?
    — Marie. »
    Judas prononça le nom comme s’il offrait
quelque chose de précieux au potier.
    Celui-ci s’esclaffa.
    « Marie ? Bien sûr. Une reine… Elle
est capable de te prendre dans sa bouche et de faire durer ça pendant des
minutes. Marie… On maudissait le premier qui arrivait et qui parfois la gardait
toute la soirée. Sacrée fille ! Elle était arrivée sans crier gare il y a
une dizaine d’années. Mais en un mois sa réputation était faite. C’est avec
elle que… Tu as eu de la chance : sans le faire exprès, tu es bien tombé… »
    Quand Judas se coucha, il en voulut à Samuel
de ce qu’il avait dit sur Marie, il en voulut à Marie de lui avoir laissé ce
souvenir, il en voulut à tout le monde.
    Il y retourna la semaine suivante, et elle l’accueillit
par un sourire. Mais il la repoussa, entra dans la chambre d’une autre, s’ennuya
et fut triste toute la soirée.
    Cette brouille
unilatérale ne dura pas. Judas trouva un équilibre entre sa vie de potier, l’amitié
paternelle de Samuel et sa fréquentation de la maison de Marie. Samuel avait
proposé une fois de venir avec lui, mais il avait senti que l’idée de mélanger
sa vie à l’atelier et sa vie à l’extérieur déplaisait au jeune garçon, qui
découchait désormais toutes les semaines. Il restait longtemps après l’amour, et
Marie ne lui comptait jamais ces dépassements de temps.
    Elle ne les lui comptait pas parce qu’elle
avait découvert en lui un don rare : celui de l’écoute. Il écoutait avec
patience et attention, après qu’il eut, en un rituel qui les gênait un peu l’un
et l’autre, déposé son dû sur la tablette. Elle lui raconta d’abord des
anecdotes sur les hommes qui venaient la voir, puis se laissa aller à parler un
peu plus d’elle.
    « Tu es galiléen ? lui
demanda-t-elle un jour.
    — Comment le sais-tu ?
    — J’aurais du mal à ne pas reconnaître un
accent que j’ai entendu toute mon enfance.
    — Parce que toi aussi…
    — Moi aussi…
    — Et d’où ?
    — De Magdala. Et toi ?
    — De Chorazim. »
    Ils rirent, heureux l’un de l’autre, et
évoquèrent les lieux qu’ils connaissaient tous deux. Judas sentit une boule lui
monter à la gorge, et le regret poignant de sa mère l’envahit.
    « Tu deviens bien triste…
    — Non, non… »
    Elle se leva pour rougir à nouveau la pointe
de ses seins à la cochenille, et passer un peigne en bois dans ses cheveux
défaits.
    « Qu’est-ce que c’est ? »
demanda Judas qui cherchait à détourner la conversation, et montrait une
statuette miniature trouvée sur la table de nuit.
    « Une déesse de la fertilité.
    — Tu crois à ces trucs païens ?
    — Moi, non, mais beaucoup de filles ici
le font. Va voir chez les Juifs, tu auras des surprises. Même les foyers les
plus pieux regorgent d’amulettes. Avec qui crois-tu que s’enrichissent les
joailliers de la Décapole ? Regarde celle-là, c’est une statuette de Baal.
Un homme très pieux l’a laissée tomber. Quand je l’ai vue, il a fait comme si
elle ne lui appartenait pas. Alors je l’ai gardée. Et celui-là, regarde. Où l’ai-je
mis ?… Tiens, le voilà. »
    Elle sortit d’une petite boîte un phallus
égyptien, et le jeta sur les genoux de Judas. « Il ne t’évoque rien ? »
Judas sourit et elle se colla contre lui.
    « Tu aimes ce
que tu fais ? lui demanda-t-il un autre jour.
    — J’ai toujours détesté. Mais j’aime le
travail bien fait, alors je m’applique.
    — On dirait un élève de l’école
rabbinique qui parlerait de ses devoirs. »
    La comparaison ne la fit pas sourire. « J’essaie
de rendre les gens heureux, de leur donner ce qu’ils sont venus chercher. Ce
sont souvent des malheureux qui n’ont pas trouvé qui aimer. Je leur sers plus d’illusion
que de réservoir à foutre. »
    Elle était crue naturellement, parce que le
corps et ses besoins étaient son quotidien. Dans sa chambre traînait toujours
une odeur de savon, de toilette.
    « J’ai su ce que c’était que d’être
humiliée. À la mort de mes parents, je suis allée habiter chez mon oncle. Il
avait cinq autres filles, et aucun garçon. Je suis arrivée chez lui quand j’avais
dix ans. Dès la deuxième semaine, il m’a forcée. Je savais

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