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Le Baiser de Judas

Le Baiser de Judas

Titel: Le Baiser de Judas Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hubert Prolongeau
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filles. Il s’aperçut alors qu’il ne les regardait plus de la même
manière. Ou plutôt qu’il commençait à les regarder.
    À presque vingt-deux ans, il était encore
vierge. Ce n’était pas vraiment un choix : contraint à une clandestinité
presque totale, il avait trouvé dans son ardeur à se battre de quoi occuper
toute son énergie. L’absence de présence féminine à ses côtés lui interdisait
de réaliser ce qui pourrait lui manquer, et très vite, pour des raisons de sécurité,
il n’avait plus accompagné ses camarades lors de leurs sorties. Son aura de
tueur avait d’ailleurs petit à petit atténué sa familiarité avec les autres, et
les plaisanteries à caractère sexuel, fréquentes chez les nouveaux venus, l’épargnaient
presque spontanément. Mais la situation n’était plus la même à Jérusalem. Ses
rêves prirent une tout autre coloration. Il pensait parfois à sa mère et
Barabbas, n’osait encore trop coller leur image à celles qui lui
obscurcissaient par moments l’esprit.
    Un soir, il poussa jusqu’à Jérusalem. Il
savait où il allait. Des plaisanteries entendues dans la boutique, des
questions qu’il avait posées à Samuel, les croyant finement déguisées, l’avaient
renseigné tout en échauffant son sang. Il se dirigea vers les bas quartiers, traversant
sans même s’en rendre compte le lit du Cédron.
    Quand il arriva dans la rue, un trouble l’envahit.
Il chercha la maison qu’on lui avait indiquée. Ses murs étaient ornés de
dessins pornographiques, dépourvus à la fois de talent sur la forme et d’imagination
sur le fond. Il lui semblait que tout le monde savait parfaitement ce qu’il
venait faire et il en éprouvait une honte mâtinée de plaisir. Pourtant, il
frappa.
    La fille qui vint ouvrir n’avait pas pu ne pas
noter son trouble. Elle était lourdement fardée, les yeux soulignés de khôl, le
visage plâtré de blanc.
    « Tu cherches un peu de compagnie, mon
garçon ? »
    Judas sentit son poil se hérisser et un vague
dégoût mêlé d’excitation l’envahit. Sous le fard, on sentait la fille vieillie.
La voix avait une vulgarité rocailleuse et pleine d’une sensualité feinte
nouvelle à ses oreilles. Il resta immobile, attendant. De la bouche, elle fit
une mimique obscène, qui dévoila les caries de ses dents.
    Alors il la repoussa et s’enfuit en courant. Un
éclat de rire le poursuivit.
    Deux jours plus tard,
pourtant, il revint. Il n’avait dit mot chez Samuel, remâchant sa déconvenue, à
la fois humilié et impuissant. Cette peur qui l’étreignait, lui qui avait tué
de sang-froid, lui que les patrouilles de Romains n’effrayaient pas, lui
paraissait incompréhensible. Seule l’ivresse lui donna la force dont il avait
si terriblement besoin.
    Plusieurs hommes étaient là, arpentant la rue,
ne se poussant qu’au passage d’un lépreux qui faisait tinter devant lui le
grelot de sa clochette. Il cogna à la même porte, craignant que la même fille
ne vînt lui ouvrir. Mais c’en fut une autre, maigre, l’air timide. Elle ne
maîtrisait pas encore très bien le maquillage et le rouge sur ses joues montait
presque jusqu’aux yeux. Judas ne savait trop que dire. Il hasarda un « Bonjour »
beaucoup moins affirmé qu’il ne l’aurait souhaité.
    Elle répondit d’emblée.
    « Je ne fais pas les puceaux. »
    Il sentit ses traits s’empourprer.
    « Les quoi ?
    — N’essaie pas de m’en conter. Tu es déjà
venu, tu oses à peine me regarder. Je te le dis : je ne fais pas les
puceaux. »
    Judas avait déjà levé la main. La fille se mit
l’insulter.
    « Calme-toi, jeune homme. »
    La femme qui venait de parler était apparue
derrière la prostituée. Elle était belle, vêtue d’une robe blanche dont seul le
haut très transparent laissait deviner son métier.
    « Ne fais pas de scandale. Nous sommes
surveillées, et tu n’en sortirais pas gagnant. »
    Du coin de l’œil, Judas aperçut deux hommes
qui regardaient la scène. La femme le prit par la main.
    « Entre avec moi, et il n’y aura pas de
problèmes ».
    L’escalier était sale. Un homme dormait, couché
sur une marche.
    « Tu n’as pas à avoir honte. Nous avons
tous connu une première fois. Cela se voit un peu plus chez toi que chez d’autres,
c’est tout. »
    Elle lui caressa la joue.
    « Elle non plus, cela ne fait pas
longtemps qu’elle est là. C’est pour cela qu’elle joue les grandes. Ça lui
passera. »
    Elle

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