Le Bal Des Maudits - T 1
et de l’indifférence aveugle des autorités militaires, sur lesquelles l’amour n’avait aucune prise, la tendresse ne faisait aucune impression. « Enfin, songea-t-il rêveusement, lorsqu’il s’endormit, peu de temps avant le réveil, je la verrai cet après-midi. Peut-être cela vaut-il mieux. Les dernières traces de mon œil au beurre noir auront peut-être complètement disparu, et je n’aurai pas besoin de lui expliquer comment cela m’est arrivé… »
Le capitaine arriverait dans cinq minutes. Nerveusement Noah vérifia les coins de sa couchette, la symétrie des serviettes dans sa boîte à paquetage, l’impeccable transparence des fenêtres, à gauche et à droite de son lit. Il vit son voisin, Silichner, boutonner l’imperméable qui pendait parmi ses vêtements, à la place prescrite. Noah s’était assuré, avant de déjeuner, que tous ses vêtements étaient correctement boutonnés en vue de l’inspection, mais il y jeta un ultime coup d’œil et recula, horrifié. Sa veste, qu’il avait vérifiée moins d’une heure auparavant, était déboutonnée du haut en bas. Frénétiquement, il se mit à la reboutonner. Si Colclough avait trouvé sa veste ouverte, il aurait consigné Noah pour le week-end. Il avait fait pis à d’autres pour moins que cela, et tout le monde savait qu’il détestait Noah. Deux boutons de l’imperméable étaient également déboutonnés. « Oh, mon Dieu ! pensa Noah faites qu’il n’arrive pas encore, faites qu’il n’arrive pas avant que j’aie fini. »
Brusquement, Noah se retourna. Riker et Donnelly l’observaient, de leur couchette, en ricanant un peu. Instantanément, ils baissèrent la tête et chassèrent de leurs souliers des grains de poussière imaginaires. « C’est ça, pensa amèrement Noah, ce sont eux qui me l’ont fait, sans doute en accord avec toute la chambrée. Sachant ce que Colclough me ferait s’il trouvait mes vêtements dans cet état… Ils se sont sans doute glissés ici après le petit déjeuner, pour sortir tous les boutons des boutonnières…
Il vérifia soigneusement chaque pièce de son habillement et bondit au pied de sa couchette au moment exact où, du seuil de la baraque, le sergent hurlait : – Garde à vous !
Colclough l’examina longuement, froidement, et regarda sous tous les angles possibles la rigide perfection de sa boîte à paquetage. Puis il se glissa derrière Noah et tira à lui, l’un après l’autre, tous les vêtements pendus à la tête de sa couchette. Noah entendait le glissement sifflant du drap contre le drap, tandis que Colclough laissait les vêtements retomber à leurs places respectives. Enfin, le capitaine ressortit d’entre les couchettes, et Noah comprit que tout se passerait bien.
Cinq minutes plus tard, l’inspection était terminée, et les hommes commençaient à se déverser des baraquements, dans la direction des autobus. Noah descendit son sac de l’étagère et y prit, au fond, la petite pochette de toile cirée dans laquelle il rangeait son argent. Il l’ouvrit, et écarquilla les yeux. Le petit sac était vide. À la place du billet de dix dollars, il n’y avait qu’un morceau de papier portant, en son milieu, ce simple mot : « Alors ? »
Noah fourra le papier dans sa poche et, posément, remit son sac à sa place habituelle. « Je le tuerai, pensait-il. Je tuerai celui qui a fait ça, Pas d’écharpe, pas de chemisier, rien ! Je le tuerai. »
Lentement, il marcha vers la station de l’autobus. Tout tournait autour de lui. Il voulait laisser les hommes de sa chambrée prendre un ou deux autobus d’avance. Il ne voulait pas les voir, ce matin. Il savait que les choses se gâteraient, s’il montait dans le même autobus que Donnelly, Silichner, Rickett ou l’un des autres, et cette matinée n’était pas propice aux règlements de comptes.
Il attendit une vingtaine de minutes, parmi la longue queue de soldats impatients et monta enfin dans l’un des autobus. Il n’y avait personne de sa compagnie et, soudain, les visages lavés, rasés et détendus lui parurent francs et amicaux. L’homme debout près de lui, un immense soldat à la large physionomie avenante, lui offrit même une gorgée du whisky qu’il venait de tirer de sa poche.
– Non, merci, dit Noah en souriant. Ma femme vient d’arriver en ville et je ne l’ai pas encore vue. Je ne veux pas la retrouver avec une haleine parfumée à l’alcool.
L’autre sourit de toutes
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