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Le Bal Des Maudits - T 1

Le Bal Des Maudits - T 1

Titel: Le Bal Des Maudits - T 1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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sur les os. Illogiquement, Michael se sentait coupable lorsqu’il regardait osciller devant lui le dos maigre et péniblement voûté de Noah. Les longs mois d’entraînement avaient également aminci Michael, mais sa sveltesse actuelle était celle d’un athlète ; ses jambes étaient dures et puissantes comme des tiges d’acier, son corps, solide et résistant. Il était injuste que dans la même colonne, juste devant lui, puisse se trouver un homme dont chaque pas était une souffrance, alors que lui-même se sentait comparativement en forme. Et il y avait, en plus, toutes les avanies subies par Ackermann au cours des deux dernières semaines. Les plaisanteries méchantes et continuelles, les fausses discussions politiques entamées dans le voisinage d’Ackermann, pour le plaisir de lui faire entendre une fois de plus : « Hitler n’a jamais fait grand-chose de propre, mais faut dire ce qui est : il sait ce qu’y faut faire au sujet des Juifs… ».
    Michael avait essayé d’intervenir une ou deux fois en sa faveur, mais, parce qu’il était nouveau dans la compagnie, parce qu’il venait de New York et que la plupart des hommes étaient originaires du Sud, personne n’avait prêté attention à ce qu’il disait, et tous avaient continué à participer au jeu cruel.
    Il y avait un autre Juif dans la compagnie, un type énorme du nom de Fein, auquel personne ne cherchait jamais d’histoire. Personne ne l’aimait particulièrement, mais personne ne l’ennuyait. Peut-être en raison de sa taille. Il avait bon caractère et une allure peu rassurante. Il avait de grosses mains noueuses et prenait tout par le bon bout, sans penser à rien. Il serait difficile de le vexer, car les mots couverts et les allusions détournées paraissaient glisser sur lui sans parvenir jusqu’à son cerveau, et quel plaisir y aurait-il à asticoter un être aussi obtus ? En outre, s’il se vexait un jour, il ferait sans doute pas mal de dégâts à la ronde, et les hommes qui persécutaient Ackermann se tenaient coi en présence de Fein. « Ah ! l’armée », songea Michael.
    Devant Michael, Ackermann trébucha. Michael hâta le pas et le retint par le bras. Ackermann le regarda froidement.
    –  Lâche-moi, dit-il, je n’ai besoin de l’aide de personne.
    Michael laissa retomber sa main. « Un de ces Juifs orgueilleux », pensa-t-il, le regardant chanceler et buter à chaque instant sur les pierres du chemin, tandis que la colonne franchissait la crête de la colline. Il n’éprouvait plus aucune sympathie à son égard.
    –  Sergent, dit Noah, debout, dans la salle du rapport, devant le bureau derrière lequel le sergent-chef lisait les aventures de Tarzan. Je voudrais avoir la permission de parler au capitaine.
    Le sergent-chef ne leva pas les yeux. Noah se tenait au garde-à-vous, dans ses treillis, épuisé et trempé de sueur par les marches de la journée. Il regarda le capitaine, assis deux mètres plus loin, derrière son propre bureau, lisant attentivement la page sportive d’un journal de Jacksonville. Le capitaine ne leva pas la tête.
    Finalement, le sergent-chef regarda Noah.
    –  Que désirez-vous, soldat ? demanda-t-il.
    –  Je voudrais, dit Noah, s’efforçant d’articuler ses paroles, malgré la fatigue de la journée qui menaçait de troubler la clarté de sa diction, avoir la permission de parler au capitaine.
    Le sergent-chef fixa sur lui un regard morne.
    –  Sortez d’ici ! ordonna-t-il.
    Noah avala sa salive.
    –  Je voudrais avoir la permission…, recommença-t-il avec entêtement, de parler au…
    –  Sortez d’ici, coupa le sergent, et revenez avec votre tenu e A. Maintenant, sortez d’ici.
    –  Oui, sergent, dit Noah.
    Le capitaine n’avait pas levé les yeux. Noah quitta la petite pièce et sortit dans la nuit tombante. Il était difficile de savoir à quoi s’en tenir, au sujet des uniformes. Parfois, le capitaine voulait voir les hommes eu treillis, et parfois en tenue de ville. Le règlement changeait toutes les demi-heures. Il regagna lentement sa chambrée, parmi les flâneurs et le son nasillard des petits postes de radio à pile diffusant pêle-mêle de la musique de jazz ou le vingt-septième épisode de quelque feuilleton radiophonique.
    Lorsqu’il revint dans sa tenu e A, le capitaine n’était plus là. Noah s’assit dans l’herbe, devant l’entrée de la salle du rapport, et attendit. Derrière lui, à l’intérieur d’un baraquement, un

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