Le Bal Des Maudits - T 1
raisonnables petites tasses de punch épicé. Les jeunes filles, pour la plupart musclées et bien en chair, paraissaient légèrement déplacées dans leur lingerie fine. Il y avait un accordéoniste, mais, après avoir joué deux morceaux auxquels personne ne fit attention, il s’installa près du punch, l’air morose, et céda la place au phonographe et à ses disques américains.
La plupart des invités étaient des citadins, de s fermiers, des commerçants, des parents des Langerman, aux visages tannés par le soleil des montagnes, d’apparence solide et comme immortelle, en dépit de leurs vêtements grossiers, comme si nul germe de maladie ni de décrépitude ne pouvait entamer cette ferme chair montagnarde, nul messager de mort pénétrer sous cette peau resplendissante.
Presque tous les gens de la ville qui étaient descendus à l’auberge Langerman avaient poliment absorbé une tasse de punch, puis s’étaient éclipsés vers les bals plus gais des grands hôtels. Finalement, Margaret resta seule à ne pas être du village. Elle buvait peu, car elle était résolue à aller se coucher de bonne heure et à prendre une longue nuit de repos. Le train de Joseph arrivait à huit heures et demie, le lendemain matin ; elle voulait être fraîche et dispose pour le recevoir. À mesure que la soirée s’avançait, l’atmosphère devenait plus gaie Margaret dansa, avec presque tous les jeunes gens, des valses et des fox-trots. Vers onze heures, lorsque la pièce fut devenue bruyante et chaude, que le troisième bol de punch eut été apporté et que les visages des invités eurent perdu cet air timide et simple de santé sans histoires des gens habitués à vivre au grand air, elle apprit à Frédérick à danser la rumba. Les autres les entourèrent, regardèrent et, lorsqu’ils eurent fini, applaudirent. Puis le vieux Lingerman insista pour qu’elle danse avec lui. C’était un vieillard obèse et trapu, au crâne rose, et il transpirait abondamment, tandis qu’au milieu des éc lats de rire de l’assistance elle tentait de lui expliquer, dans son laborieux allemand, les mystères de la syncope et des rythmes subtils venus des Caraïbes.
– Bon Dieu ! s’écria le vieillard lorsque la danse fut finie, j’ai gâché ma vie dans ces collines.
Margaret éclata de rire, se pencha vers lui et l’embrassa. Rassemblés en cercle, autour d’eux, sur la piste cirée, les invités applaudirent à tout rompre. Frédérick sourit, s’avança vers elle et tendit les bras.
– Encore à moi, professeur, dit-il.
Ils remirent le disque en route et firent boire à Margaret une autre tasse de punch avant de leur permettre de commencer. Frédérick était maladroit et lourd, mais il était agréable de danser avec autour de soi ses bras puissants et sûrs.
La chanson se termina et, à présent lesté de dix ou douze verres de punch, l’accordéoniste reprit son instrument. Il chanta en jouant et, un par un, les autres se joignirent à lui, debout dans la lueur dansante du feu, les sons pleins de l’accordéon dominant leurs voix sonores et montant crescendo vers les poutres saillantes de la salle commune. Margaret se tenait au milieu d’eux, le bras de Frédérick autour de sa taille, chantant doucement, presque pour elle-même, et pensant : « Comme ces gens sont aimables, et chaleureux, et enfantins, et bons avec les étrangers, si ardents à chanter la nouvelle année, et comme leurs voix, habituées aux échos de l’extérieur, savent tendrement se plier aux douces nécessités de la musique. »
– Roslein, Roslein, Roslein rot, Roslein auf der Heide, chantaient-ils.
La voix du vieux Langerman dominait le chœur, semblable au mugissement d’un taureau et ridiculement plaintive, et Margaret chantait avec eux, en regardant leurs visages animés. Un seul parmi eux demeurait immobile.
Christian Diestl était un grand jeune homme svelte, au visage solennel et grave, aux cheveux coupés en brosse, à la peau brûlée par le soleil, aux yeux clairs et presque dorés, avec ces paillettes jaunes qu’on trouve dans les yeux des animaux. Margaret l’avait vu, sur les pentes, enseigner aux débutants l’art de faire du ski et avait envié, un instant, la souple aisance avec laquelle il se déplaçait sur la neige. Il se tenait à l’écart des chanteurs, un verre à la main, sa chemise ouverte brillant sur sa peau sombre, observant les chanteurs d’un œil perplexe et lointain.
Son regard
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