Le Bal Des Maudits - T 1
quand l’infirmier traversait la salle en braillant : « Tout le monde dehors. »
Noah en était à son cinquième combat. Son visage était meurtri et méconnaissable, l’une de ses oreilles définitivement en « chou-fleur ». Une cicatrice blanche barrait en diagonale son arcade sourcilière droite, donnant à sa physionomie une expression asymétrique et bizarrement interrogative. L’effet général, avec ses grands yeux noirs fanatiques brillant intensément dan s son pauvre visage martelé, était infiniment pénible.
Après le huitième combat, Noah, pour la troisième fois, dut être transporté à l’infirmerie. IL avait été frappé à la gorge. Les muscles avaient subi une paralysie temporaire et le coup avait affecté son larynx. Pendant deux jours, le médecin douta qu’il retrouvât jamais l’usage de la parole.
– Soldat, déclara-t-il le troisième jour, en penchant vers Noah son visage perplexe de collégien, je ne sais pas à quoi vous voulez en venir, mais je ne pense pas que ça en vaille la peine. Vous n’arriverez pas à battre à vous tout seul toute l’armée des États-Unis, et…
Il s’arrêta, fixa sur Noah un regard troublé :
– Vous voulez dire quelque chose ?
Pendant un long moment, la bouche de Noah remua sans émettre un seul son. Puis un petit bruit grinçant sortit enfin de ses lèvres enflées. Le docteur s e pencha encore davantage.
– Vous avez parlé ? demanda-t-il.
– … cupez-vous… vos pilules, doc…, dit Noah. Et fich… moi la paix.
Le docteur rougit. C’était un excellent garçon, mais on ne lui parlait plus ainsi, depuis qu’il avait le grade de capitaine. Il se redressa.
– Je suis heureux de constater, dit-il sèchement, que vous avez retrouvé l’usage de la parole.
Il pivota sur place et se retira.
Fein, l’autre Juif de la compagnie, rendit également visite à Noah. Il resta debout près du lit de Noah, pétrissant son calot dans ses énormes pattes.
– Écoute, mon pote, dit-il, je sais que c’est pas mes affaires, mais faut pas exagérer. Si t’as l’intention de te battre chaque fois que t’entendras traiter les Juifs de salauds…
– Pourquoi pas ? grinça Noah.
– Parce que faut toujours rester pratique, dans la vie, dit Fein. D’abord, t’es pas assez costaud. Et, deuxièmement, même si t’étais fort comme un bœuf et que t’aies la droite de Joe Louis, ce serait pas mieux. Y a des tas de gens qui traitent automatiquement les Juifs de salauds, et rien de ce que toi ou n’importe quel autre Juif pourront faire y changera absolument rien. Et tu vas faire croire à tous les autres que tous les Juifs sont cinglés. Écoute, y sont pas si mauvais que ça, la plupart. Y se font pire qu’y sont, parce qu’y savent pas se faire comprendre. Y-z-ont été navrés pour toi, au début, tu peux en être sûr, mais, après toutes ces bagarres, y commencent à considérer les Juifs comme des sortes d’animaux sauvages. Y commencent même à me regarder d’un drôle d’air…
– Enchanté, grinça Noah.
– Écoute, dit Fein patiemment. Je suis plus vieux que toi et je suis paisible de nature. Je tuerai des Allemands si y me demandent d’en tuer, mais je veux vivre en paix avec les autres, dans l’armée. Tout ce qui faut à un Juif, c’est d’être sourd d’une oreille. Dès que quelques-uns de ces salauds se mettent à en casser sur le dos des Juifs, y tourne cette oreille-là de leur côté, et le tour est joué… Tu les laisses faire et y finissent par plus s’occuper de toi. La guerre durera pas toujours, et, ensuite, tu pourras vivre avec qui tu voudras. Mais, pour l’instant, le gouvernement a décidé qu’y fallait que tu vives avec une bande de salauds, et t’y peux absolument rien. Si tous les Juifs avaient été comme toi, fiston, on serait disparu depuis deux mille ans de la surface de la terre…
– Dommage, dit Noah.
– Aaah, grogna Fein, dégoûté, je vais finir par croire qu’y-z-ont raison, t’es cinglé. Écoute, je pèse mes cent kilos, et c’est pas de la graisse. Je pourrais battre n’importe qui dans cette compagnie avec une main attachée derrière le dos . Ben, tu m’as jamais vu me bagarrer, pas vrai ? Je me suis pas bagarré une seule fois depuis que je suis sous l’uniforme. Je suis un homme pratique, moi.
Noah soupira :
– Patient fatigué, Fein, dit-il. Pas en état d’écouter les conseils d’un homme pratique.
Fein lui jeta
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