Le Bal Des Maudits - T 1
mon capitaine.
– Où est-il allé ?
– Je l’ignore, mon capitaine.
– Vous mentez.
Le visage de Colclough était devenu très pâle, et son nez tressaillait à chaque instant.
– Vous l’avez aidé à sortir du camp. Laissez-moi vous rappeler quelque chose, Whitacre, au cas où vous auriez oublié vos articles de guerre. La peine encourue pour avoir facilité ou avoir négligé de signaler une désertion est la même que pour la déser tion proprement dite. Et vous savez quelle est cette peine, en temps de guerre ?
– Oui, mon capitaine.
– Et quelle est-elle ?
D’un seul coup, la voix de Colclough s’adoucit. Il se renversa dans sa chaise et regarda Michael avec une soudaine bienveillance.
– Elle peut aller jusqu’à la peine de mort, mon capitaine.
– La peine de mort, dit doucement Colclough. La peine de mort. Écoutez, Whitacre, votre ami est, pour ainsi dire, déjà pris. Quand nous le tiendrons, nous lui demanderons si vous l’avez aidé à déserter. Ou même s’il vous avait confié son intention de déserter. Il ne nous en faut pas davantage. S’il vous l’a dit et que vous ne nous l’ayez pas rapporté, ce sera exactement comme si vous l’aviez aidé à s’enfuir. Vous savez cela, Whitacre ?
– Oui, mon capitaine, dit Michael, en pensant : « Ce n’est pas vrai, c’est impossible, ce n’est pas à moi que ça arrive, ce n’est rien de plus qu’une anecdote amusante racontée à une cocktail party au sujet d’un de ces individus impossibles qui peuplent l’armée des États-Unis. »
– Je ne pense pas, dit Colclough d’un ton raisonnable, qu’aucun conseil de guerre vous condamne à mort pour avoir négligé de signaler une désertion. Mais ils vous condamneront à vingt ans de prison, trente ans, peut-être, voire à perpétuité. Et la prison fédérale, Whitacre, n’a rien de commun avec Hollywood. Ce n’est pas Broadway. Vous n’aurez pas souvent votre nom dans le journal, à Leavenworth. Si votre ami laisse échapper, par hasard, qu’il vous a dit, par hasard, qu’il avait l’intention de déserter, nous ne pourrons plus rien faire pour vous. Et il aura de nombreuses occasions de le laisser échapper, Whitacre, c’est moi qui vous le dis… Voyons, Whitacre…
Colclough étala raisonnablement ses mains sur son bureau.
– Je ne veux pas en faire une montagne. Je suis ici pour préparer une compagnie au combat et je ne veux pas compromettre mes efforts avec des histoires de ce genre. Dites-moi simplement où est Ackermann, et nous n’en reparlerons plus jamais. C’est tout. Dites-moi simplement où il se peut qu’il soit… Ce n’est pas trop demander, n’est-ce pas ?
– Non, mon capitaine, dit Michael.
– Parbleu ! dit Colclough. Alors, où est-il ?
– Je l’ignore, mon capitaine.
Le nez de Colclough recommença à s’agiter. Il bâilla nerveusement.
– Écoutez, Whitacre, dit-il. Ne vous croyez pas obligé d’agir loyalement envers un type tel qu’Acker-man. C’était un de ces soldats dont nous n’avons pas besoin dans la compagnie. En tant que soldat, il était inutile, personne n’avait confiance en lui et, du commencement à la fin, il n’a jamais été qu’une source d’ennuis. Il faudrait que vous soyez fou pour risquer de passer votre vie en prison afin de protéger un tel individu. Vous êtes intelligent, Whitacre, vous aviez eu une belle réussite, dans la vie civile, et vous avez également l’étoffe d’un bon soldat. C’est pourquoi je veux vous aider, Whitacre… Alors… Il sourit avec bonhomie. Où est le soldat Ackermann ?
– Je regrette, mon capitaine, dit Michael. Je l’ignore.
Colclough se leva.
– Très bien, dit-il calmement. Sortez d’ici, ami-des-Juifs.
– Oui, mon capitaine, dit Michael. Merci, mon capitaine. Il salua et sortit.
Brailsford attendait Michael à la sortie du mess. Appuyé contre le baraquement, il se curait les dents et crachait par terre. Il avait encore engraissé, mais, depuis le jour où Noah l’avait battu, ses traits exprimaient en permanence un vague ressentiment ; sa voix était devenue plus faible et plus plaintive. Michael tenta de l’éviter, mais Brailsford courut derrière lui, en criant :
– Whitacre, attends une minute.
Michael se retourna et regarda approcher Brailsford.
– Hello ! Whitacre, dit Brailsford. Je te cherchais.
– Pourquoi ? demanda Michael.
Brailsford regarda nerveusement autour
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