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Le Bal Des Maudits - T 2

Le Bal Des Maudits - T 2

Titel: Le Bal Des Maudits - T 2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Irwin Shaw
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m’en plaindre. Je veux bien que ça continue comme ça jusqu’à la fin de la guerre…
    Et le capitaine d’un certain âge, grimaçant et amer, appuyé contre un tank Sherman en face de la cathédrale de Chartres, et qui disait : « Je ne vois pas ce qu’ils avaient tous à s’exciter sur ce pays depuis je ne sais plus combien d’années. Seigneur Dieu, mais il n’y a rien ici qu’on ne ferait pas mieux en Californie… »
    Et le nain couleur de chocolat dansant coiffé d’un fez parmi les détecteurs de mines, et distrayant à un carrefour les hommes des chars d’assaut qui l’en avaient récompensé en l’acclamant et en le saoulant avec le calvados dont leur avaient fait cadeau les gens du pays le matin même.
    Et les deux vieux ivrognes qui étaient venus en chancelant, et la rue était à peine assez large pour eux, offrir des bouquets de géraniums et de marguerites à Pavone et à Michael, et avaient cordialement souhaité la bienvenue à l’armée américaine, mais auraient aimé savoir pourquoi, le 4 juillet, alors qu’il ne restait plus un Allemand dans le village.
    L’armée américaine avait jugé utile de bombarder l’endroit et de le raser en moins de trente minutes.
    Et le lieutenant allemand, fait prisonnier par la première division, et qui, en échange d’une paire de chaussettes propres, avait montré au réfugié juif de Dresde, à présent sergent de M. P., l’emplacement exact de sa batterie de 88.
    Et le fermier français qui avait travaillé toute une matinée pour inscrire dans sa haie, le long de la route, avec des roses, un énorme « Welcome U. S. A. » ; et les autres fermiers qui, avec leurs femmes, avaient recouvert des fleurs de leurs jardins un Américain mort sur le bord de la route, rendant un instant la mort charmante et gaie aux yeux des colonnes d’infanterie qui faisaient un léger écart pour ne pas piétiner l’énorme monticule de phlox, de dahlias, d’iris et de roses.
    Et les milliers de prisonniers allemands et l’impression terrible que rien sur leurs visages n’indiquait qu’il s’agissait là du peuple qui avait ébranlé l’Europe sur ses bases, assassiné trente millions de personnes, brûlé des populations dans ses fours crématoires, pendu, écrasé, torturé tout au long d’un territoire de cinq mille kilomètres. Il n’y avait rien sur leurs visages que de la lassitude et de la peur, et, si l’on voulait être parfaitement franc avec soi-même, on savait très bien qu’en uniforme américain ils auraient tous eu l’air de sortir de Cincinnati.
    Et l’enterrement du F. F. I., dans la petite ville – comment s’appelait-elle ? – des environs de Saint-Malo, avec l’artillerie qui tirait alentour et la procession qui s’allongeait derrière les chevaux coiffés de plumes noires et le corbillard déglingué et le village endimanché traînant ses pieds dans la poussière, pour venir serrer la main des parents du disparu, alignés en un rigide comité de réception, près de la porte du cimetière. Et le jeune prêtre, qui avait servi la messe funéraire et répondu à la question posée par Michael au sujet de l’identité du défunt :
    –  Je ne sais pas, mon ami, je ne suis pas d’ici.
    Et le charpentier de Granville, né au Canada, qui avait travaillé aux fortifications côtières allemandes et avait dit en secouant la tête.
    –  Il est trop tard, maintenant. En 1942, en 1943, je vous aurais volontiers serré la main, mais maintenant…
    Il avait haussé les épaules.
    –  Il est trop tard, trop tard…
    Et l’écolier de quinze ans, à Cherbourg, qui en voulait tant aux Américains.
    –  C’est des tordus, avait-il affirmé. Ils couchent exactement avec les mêmes poules que les Allemands ! Des démocrates ! Tu parles ! Moi, à moi tout seul, j’ai rasé les cheveux de cinq putains à Boches, dans le voisinage. Et je l’ai fait quand c’était dangereux, avant l’arrivée des Américains. Et je le referais encore, oh oui ! je le referais encore…
    Et le bordel avec les filles en robes courtes, et Madame Mère encaissant au comptoir et tendant à chaque soldat une serviette et un bout de savon minuscule. « Soyez gentils avec mes petites mignonnes, mes chéris, soyez bien gentils. » Et les soldats qui montaient dans les chambres, avec leurs mitraillettes ou leurs fusils…
    Stellevato ronflait, et le crayon de Keane grattait toujours le papier. Le village gris était silencieux autour

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