Le Bal Des Maudits - T 2
difficulté. Vous n’avez qu’à mettre un brassard, comme celui-ci, et je serais étonné qu’ils vous tirent dessus.
– Paris n’a qu’à s’occuper de lui-même, coupa M me Dumoulin. Nous avons assez de nos huit cents Allemands.
– Chacun son tour, je vous en prie, protesta Michael, étourdi. – Il pensait : « Voilà une situation dont ils ne nous ont jamais parlé à Fort Benning. » – J’aimerais savoir, en premier lieu, si quelqu’un a réellement vu les Allemands.
– Jacqueline ! cria M me Dumoulin. Explique au jeune homme.
– Parlez lentement, je vous prie, dit Michael. Mon français laisse beaucoup à désirer.
– J’habite à un kilomètre en dehors de la ville, dit Jacqueline, une grosse fille aux incisives presque toutes absentes. Hier soir, un tank boche s’est arrêté devant chez nous, et un lieutenant est venu nous demander du beurre, du fromage et du pain. Il a dit qu’il nous conseillait de ne pas acclamer les Américains, parce qu’ils ne feraient que passer et que les Allemands reviendraient et que tous ceux qui auraient acclamé les Américains seraient fusillés, et qu’il avait huit cents hommes avec lui. Et il avait raison, conclut Jacqueline, très excitée, parce que les Américains sont venus et qu’une heure plus tard, ils étaient repartis, et nous aurons de la chance s’ils ne brûlent pas la ville avant ce soir. Je veux dire : les Allemands…
– C’est honteux, souligna fermement M me Dumoulin. L’armée américaine devrait avoir honte d’elle-même. Il fallait venir et demeurer ou ne pas venir du tout. J’exige votre protection.
– Il est criminel, insista l’homme au brassard, de laisser les ouvriers de Paris se faire abattre comme des chiens faute de munitions, pendant qu’ils traînent ici avec trois fusils et des centaines de cartouches.
– Mesdames et messieurs…
Michaël se leva, et prit la parole, d’une voix forte.
– Je tiens à vous déclarer que…
– Attention ! attention ! cria une femme, au dernier rang de la foule.
Michael pivota. Une auto découverte venait de déboucher sur la place. Elle approchait à vive allure. Deux hommes s’y tenaient debout, les bras levés au-dessus de la tête. Stupéfaite, la foule demeura un instant figée autour de la Jeep.
– Des Boches, cria quelqu’un. Ils veulent se rendre.
Et soudain, les deux hommes aux bras levés s’accroupirent, la voiture bondit en avant, une troisième silhouette surgit sur le siège arrière. Il y eut le son aigu d’une mitraillette, les cris des personnes touchées. Michael ramassa son fusil au fond de la Jeep et chercha le cran de sûreté-
Derrière lui, retentirent les détonations rythmiques d’un fusil à répétition. Le chauffeur de l’auto allemande leva les bras, la voiture heurta le trottoir, vira et s’écrasa contre la vitrine de l’épicerie du coin. Le store métallique tomba avec un bruit de cymbale, et les vitres volèrent en éclats. L’auto se coucha lentement sur le côté. Deux silhouettes en dégringolèrent et s’allongèrent mollement dans le ruisseau.
Michael débloqua enfin le cran de sûreté de son fusil. Stellevato avait toujours les mains sur son volant, pétrifié par la surprise.
– Qu’est-il arrivé ? chuchota-t-il. Qu’est-ce qui se passe, ici ?
Michael se retourna. Keane était debout derrière lui, son fusil à la main, et souriant en regardant les Allemands immobiles.
– Ça leur apprendra, dit-il, ses longues dents jaunes dénudées par un ricanement de plaisir.
Michael soupira, regarda autour de lui. Les Français se relevaient, pesamment, les yeux fixés sur l’automobile renversée. Deux silhouettes gisaient, dans des attitudes bizarrement contrefaites, sur les mauvais pavés. L’une d’elles, remarqua Michael, n’était autre que Jacqueline. Sa jupe retroussée laissait voir ses cuisses épaisses et jaunâtres. M me Dumoulin se penchait vers elle. Une femme pleurait quelque part.
Michael sauta à terre. Keane le suivit. Fusils braqués, ils traversèrent la place, en direction de la voiture retournée.
« Keane, pensa amèrement Michael, sans quitter des yeux les silhouettes grises étendues sur la chaussée. Il fallait que ce fût Keane. Plus rapide que moi, plus digne de confiance, alors que j’en étais encore à débloquer le cran de sûreté. Il avait son arme à la main, bien sûr, alors que la mienne était sur le siège, mais… Les
Weitere Kostenlose Bücher