Le Bal Des Maudits - T 2
Présente, l’Histoire, présent, mon passé, présents parmi les ruines et les voix du Midwest hurlant : « Taxi, taxi », dans la nuit absolue. Présent, voisin William Blake. Voilà un Américain ; Dieu vous garde !
Michael rentra dans sa chambrée et fit rapidement son lit. Il se rasa, épongea la cuvette, ramassa sa gamelle et se dirigea lentement, à travers les rues grises de l’aube londonienne, vers l’immense maison rouge, où les hommes prenaient leur petit déjeuner, et qui, jadis, avait abrité la famille d’un comte. Mille moteurs vrombissaient au-dessus de leurs têtes. Les vagues de Lancaster traversaient la Tamise, pour aller bombarder Berlin. Le petit déjeuner se composait de jus de pamplemousse, d’œufs en poudre et de bacon mal cuit, nageant dans sa propre graisse. « Pourquoi, pensa Michael, ne peuvent-ils pas apprendre aux cuistots de l’armée à mieux faire le café ? Comment veulent-ils gagner la guerre avec un café pareil ? »
– Le… e régiment d’infanterie réclame un comique et quelques danseuses, dit Michael au capitaine Mincey, son officier supérieur.
Ils étaient assis, tous les deux, dans la pièce aux murs tapissés des photographies de tous les personnages célèbres qui avaient traversé Londres, pour le compte du Théâtre aux armées.
– Et ils ne veulent plus d’ivrognes. Johnny Sutter s’y est fait emboîter le mois dernier, il a insulté un pilote, dans sa loge, et s’est fait mettre E.L. O. deux fois de suite.
– Envoyez-leur Flanner, dit Mincey d’une voix faible.
Mincey avait de l’asthme, buvait trop, et la coalition du scotch et du climat londonien le plongeait chaque matin dans un état d’esprit assez misérable.
– Flanner a la dysenterie et refuse de quitter le Dorchester.
Mincey soupira.
– Envoyez-leur cette accordéoniste, dit-il. Celle-qui a les cheveux bleus. Comment diable s’appelle-t-elle ?
– Ils veulent un comique.
– Dites-leur que nous n’avons que des accordéonistes, grogna Mincey en introduisant dans son nez l’extrémité d’un tube de vaseline goménolée.
– Oui, mon capitaine, dit Michael. Miss Roberta Finch ne peut pas continuer sa tournée en Écosse. Elle a eu des crises nerveuses à Salisbury. Elle s’est déshabillée dans le mess des soldats et a tenté de se suicider.
– Envoyez l’accordéoniste en Écosse, soupira Mincey, faites un rapport sur Finch et expédiez-le à New York. De cette façon, nous serons couverts.
– La troupe de MacLean est à Liverpool, dit Michael. Mais leur bateau est en quarantaine. Un matelot a la méningite, et ils sont consignés à bord pendant dix jours.
– Je n’en supporterai pas davantage, gémit Mincey.
– Il y a aussi un rapport confidentiel du… e groupe de bombardiers lourds. Le jazz de Larry Crosett a gagné dimanche soir onze mille dollars au poker aux hommes du groupe, et le colonel Coker déclare pouvoir prouver qu’ils se sont servis de cartes biseautées. Il exige la restitution, faute de quoi il portera plainte.
Mincey soupira et introduisit dans son autre narine le bec de son tube pharmaceutique. Avant la guerre, il avait dirigé une boîte de nuit, à Cincinnati, et souhaitait fréquemment s’y trouver encore, parmi les acteurs burlesques et les danseuses « de caractère ».
– Dites au colonel Coker que je suis en train de mener à ce sujet une enquête approfondie, gémit-il.
– Un chapelain du quartier général des Compagnies Transporteuses, continua Michael, s’élève contre notre production de « Folie de Jeunesse ». Il dit que le héros de la pièce jure sept fois et que l’ingénue traite l’un des personnages de salaud, au deuxième acte.
Mincey secoua la tête.
– J’avais dit à cette tête de lard d’expurger son texte, sur ce théâtre d’opérations, dit Mincey. Et il m’avait juré qu’il y penserait. Ah, ces acteurs ! – Il gémit. – Dites au chapelain que je suis absolument d’accord et que des mesures seront prises pour qu’une telle chose ne se renouvelle pas.
– C’est tout pour l’instant, mon capitaine, dit Michael.
Mincey soupira, empocha son tube de vaseline. Michael gagna la sortie.
– Une minute, Whitacre, dit Mincey.
Michael pivota, fit face aux yeux injectés de rouge et au nez spongieux de Mincey.
– Pour l’amour de Dieu, Whitacre, dit Mincey, vous avez l’air d’un épouvantail.
Nullement surpris, Michael baissa les yeux
Weitere Kostenlose Bücher