Le Bal Des Maudits - T 2
nouvelle de M. Shakespeare.
Dans le train corrompu du monde, on voit le crime,
[criait le Roi,
Qui de sa main dorée écarte la justice
Et même le butin criminel qui achète
Le juge ; mais là-haut en va-t-il autrement ?
Là, point de barguignage, et la cause est ouïe.
Une batterie ouvrit le feu, juste derrière le théâtre, et deux bombes tombèrent à proximité. Le théâtre trembla doucement.
… En sa vérité nue,
dit le Roi d’une voix forte, remuant les mains avec une grâce tragique, comme le lui avait recommandé le metteur en scène, parlant de plus en plus lentement, essayant d’intercaler ses mots entre les décharges saccadées des canons antiaériens.
… Et nous sommes,
dit le Roi, tandis qu’à l’extérieur les servants de la batterie devaient recharger leurs pièces devant nos fautes qui, montrant les dents…
D’autres canons ouvrirent le feu, à l’extérieur, en sifflant comme des bombes, et le Roi arpenta le plateau de long en large, attendant la prochaine accalmie. Le tonnerre diminua un instant, jusqu’à n’être plus qu’un sauvage murmure.
Quoi donc ? Que reste-t-il ? dit hâtivement le Roi.
Voir ce que peut le repentir ? Que ne peut il ?
Puis, le chœur des canons engloutit de nouveau sa voix, et le théâtre trembla de fond en comble.
« Pauvre homme ! pensa Michael, en évoquant toutes les premières auxquelles il avait assisté depuis le début de sa carrière, pauvre homme ! Le moment dont il rêve depuis des années… Comme il doit détester les Allemands ! »
… Oh, misérable état entendait-on vaguement, entre les rafales.
Cœur noir comme la mort…
Les avions s’éloignèrent. La batterie située derrière le théâtre expédia dans le ciel une salve d’adieu, que reprirent, au loin, les batteries de Hampstead. Le bruit décrut, comme un roulement de tambour joué dans une rue voisine à l’enterrement d’un général, et sur ce « fond » décroissant, calme, lent et royal comme seul peut l’être un acteur, le Roi continua :
Âme engluée, en tes efforts pour t’affranchir, t’engluant toujours plus ! Anges, à mon secours !
Ployez, genoux rétifs, cœur aux cordes d’acier.
Fais-toi plus tendre que les nerfs du nouveau-né !
Tout peut tourner à bien.
Il s’agenouilla devant l’autel et Hamlet apparut, gracieux et sombre dans ses chaussures collantes. Michael regarda autour de lui. Tous les visages était paisiblement tendus vers la scène. Personne ne bougeait, ni les uniformes, ni les vieilles dames.
« Je vous aime, aurait voulu leur dire Michael, je vous aime tous. Vous êtes les gens les meilleurs, et les plus forts, et les plus idiots de la terre, et je donnerai volontiers ma vie pour vous. »
Il sentit les larmes couler sur ses joues, complexes et dubitatives, en se retournant pour regarder Hamlet, déchiré par ses doutes, rengainer son arme plutôt que poignarder son oncle pendant ses prières.
Très loin, un seul canon tira une dernière salve. Probablement une de ces batteries servies par des femmes, songea Michael, arrivant, comme toutes les femmes, quelques minutes après la bataille, mais, malgré tout, désireuses de démontrer la sincérité de leurs intentions.
Londres brûlait en cercle lorsque Michael quitta le théâtre et se dirigea vers le parc. Le ciel tressautait comme une lampe à huile. Les nuages reflétaient la lueur des incendies. Hamlet venait de mourir.
Un noble cœur est mort, avait dit Horatio.
Bonne nuit, mon doux prince, Que bercent ton sommeil, en chantant, des vols d’anges…
Il avait dit, aussi, ses derniers mots sur les actes criminels et contre nature : sur les jugements accidentels, sur les massacres du hasard, tandis que les derniers Allemands s’écrasaient sur Douvres, que les derniers Anglais brûlaient dans leurs maisons et que les employés du théâtre couraient dans les allées avec des fleurs pour Ophélie et le reste de la troupe.
Dans Piccadilly, les prostituées erraient par escouades, projetant les faisceaux de leurs lampes électriques sur les visages des passants et criant entre deux rires rauques :
– Hé, Yankee. Deux livres pour toi, Yankee. Michael marchait lentement à travers les foules désœuvrées des M. P., et des soldats, et des prostituées, pensant à Hamlet disant à Fortinbras et à ses hommes :
Regardez cette armée immense et onéreuse, Conduite par un prince frêle et délicat, Dont le courage, enflé d’ambition
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